La réforme de la formation professionnelle et les petites entreprises (I)

La réforme de la formation professionnelle initiée par la loi Avenir professionnel de 2018, apparait très prometteuse pour accompagner la mutation structurelle de l’économie, en permettant aux entreprises et aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires à cette mutation. Elle pose toutefois question sur quelques points cruciaux pour atteindre véritablement son objectif de développement des compétences accessibles à toutes et tous.
On doit s’interroger sur le primat donné à la formation certifiante qui semble être le moyen d’acquérir les compétences alors qu’elle ne peut tout au mieux que développer la potentialité des compétences. Ne sommes-nous pas restés englués dans la diplômite aiguë qui gangrène notre société ? Ce faisant, allons-nous effectivement améliorer l’employabilité des actifs et, in fine réduire à la fois les difficultés de recrutement et le chômage ?

L’acquisition des compétences dans les petites entreprises doit-elle nécessairement se faire par le biais de la formation certifiante ?

La formation professionnelle se décompose entre la formation certifiante et la formation non certifiante. La tendance lourde qui sous-tend la réforme de la formation professionnelle est de concentrer les financements publics à la formation certifiante d’une part, et de les focaliser, d’autre part, sur les adultes en mal d’employabilité, en reconversion, en insertion, en apprentissage, c’est-à-dire soit avec un risque de licenciement, soit avec une possibilité d’embauche.

Le besoin d’évaluer les résultats de l’aide publique, de savoir si l’argent public est bien utilisé peut expliquer pourquoi sont préférées les actions débouchant sur un diplôme ou une certification professionnelle, ou sur une embauche. Sont ainsi favorisées les actions de formation certifiantes ou alors des actions de formations non certifiantes mais qui sont préparatoires à une embauche. Ainsi les actions de formation à destination des salariés qui permettent d’affermir les compétences, de les compléter ou de les renouveler, sont plus difficilement justifiables, dans cette logique du résultat. Et pourtant si l’on considère le développement des compétences au sein des entreprises, le plus efficace, mais néanmoins plus difficilement mesurable, est bien la formation continue non certifiante, plutôt de courte durée, qui le plus souvent s’inscrit dans une démarche d’apprentissage collectif, ce qui s’apprend en session de formation étant immédiatement utilisé dans la pratique, à son poste et au sein du collectif de travail. Là alors l’acquisition de nouvelles compétences ou simplement le renouvellement des compétences, se font.

Alors qu’il est parfaitement compris que ce n’est pas à l’école que l’on acquiert les compétences professionnelles, mais, de fait, en situation de travail, dans l’exercice de son métier, il peut apparaître surprenant que la doctrine pour la formation continue semble être que les compétences nécessaires pour exercer un métier ne puissent s’acquérir que dans le cadre d’une formation certifiante, ce qui est d’ailleurs vécu par beaucoup comme un retour à l’école, souvent lieu d’échec. Même la VAE qui par essence doit permettre d’éviter la formation « scolaire », est vécue comme un pensum scolaire, particulièrement difficile pour ceux qui sont en situation d’illettrisme plus ou moins marqué.

Les formations accessibles par le CPF doivent également être certifiantes. Cette obligation n’incite donc pas ceux qui auraient peut-être le besoin, à y recourir, et, elle réduit, également, l’offre de formation, car celle-ci n’a pas encore décomposé en petits blocs de formation les certifications pour être finançables par le CPF. L’offre de formation n’est pas non plus accessible sur l’ensemble des métiers sur l’ensemble du territoire, et la e-formation qui permettrait de résoudre en partie le problème d’accessibilité géographique, est encore peu développée.

Face aux enjeux majeurs d’évolution des activités et des métiers (numérique, transition énergétique, environnement…), le besoin d’évolution des compétences concerne pourtant tous les actifs, qu’ils soient en emploi ou non. Or cette adaptation des compétences doit pouvoir se faire dans le cadre de l’emploi, le métier évoluant de fait au sein de l’entreprise en même temps que l’activité de l’entreprise évolue. Ce sont, de fait, les salariés qui font évoluer les activités et par incidence leurs métiers, et qui, pour ce faire, doivent développer les compétences nécessaires. Cette acquisition de compétence est d’ailleurs collective. Elle comporte une large part d’autoformation et d’échanges au sein des équipes de travail. Toutefois, la formation organisée au sein de l’entreprise ou hors entreprise est utile, voire nécessaire pour acquérir de nouvelles techniques, pour échanger avec des salariés d’autres entreprises, pour prendre le recul nécessaire sur ses propres pratiques pour les faire évoluer. Le développement de la e-formation, le développement des pratiques de formation en situation de travail (FEST) et d’apprentissage collectif, n’exonère pas les entreprises d’envoyer régulièrement leurs salariés en formation, sans doute de plus courte durée qu’auparavant grâce au développement de formation mixte (associant formation en salle, e-formation, formation en situation de travail, formation en équipe de travail, autoformation…), mais nécessairement dans un cadre formalisé de formation. La finalité est d’acquérir les compétences nécessaires pour faire évoluer les activités de l’entreprise, ce qui induit sans doute une évolution des métiers. Cela n’est pas incompatible avec l’inscription de cette acquisition de compétence dans un parcours de formation certifiante, mais cela implique que le référentiel de la certification professionnelle soit effectivement décliné en petits blocs de compétence (parler de briques serait peut-être plus pertinent) et qu’il soit bien prévu un bloc de compétence correspondant à la compétence acquise par le salarié… Il semble que l’état d’avancement de la réécriture des référentiels des certifications (et diplômes) ne soit que rarement suffisamment avancé pour que se fasse aisément l’articulation entre action de formation menée au titre du plan de formation et certification. Elle pourra l’être plus aisément par la VAE. Mais la finalité pour le salarié, est-elle nécessairement une certification, mais n’est-elle pas plutôt de préserver son employabilité, de développer les compétences qui lui semblent nécessaires pour progresser dans son métier, sans avoir nécessairement un certificat, si tant qu’il en existe un pour valider ses compétences ?

Pour que la réforme de la formation puisse effectivement atteindre son objectif de rendre l’acquisition des compétences accessible à tous, il apparaît donc impératif d’assouplir au maximum les dispositifs de formation certifiante, de décomposer les certifications non pas en « bloc de compétences », mais véritablement en « briques de compétences» de façon à pouvoir mobiliser les différents dispositifs de la formation pour accompagner les salariés dans leur professionnalisation, en acquérant progressivement toutes les briques de compétences et valider in fine, s’ils le souhaitent, une certification, en ayant mixé les différents dispositifs (alternance, CPF, ProA et même plan de formation) et les différentes modalités de formation (distanciel, présentiel, FEST et VAE).

Hugues JURICIC, le 11 février 2020

Mutation majeure de l’agriculture du fait de l’intégration du numérique

Confrontée au défi de triple performance – économique, environnementale et sociale – l’agriculture est aujourd’hui dans une situation de mutation majeure du fait de l’intégration du numérique dans les différentes fonctions des exploitations. Et précisément, les nouvelles technologies du numérique peuvent apporter des solutions pour gagner en performance sur les dimensions économique, environnementale et sociale.

Le numérique est de plus en plus présent et embarqué dans les champs, les étables, les équipements, mais aussi dans les échanges entre les agriculteurs et leurs clients. Il peut transformer le travail, aider aux décisions, permettre de prévoir et anticiper les risques, faciliter les échanges.

À travers le potentiel d’innovation qu’il propose, le numérique est ainsi un véritable levier de transformation pour créer de nouvelles chaînes de valeurs, associées à des enjeux économiques, et cela concerne toutes les agricultures, les différents circuits commerciaux et types de production agricole (y compris le bio et l’agroécologie).

1. La robotique agricole se déploie surtout dans les élevages bovins laitiers avec le robot de traite.

La robotique permet de réduire la pénibilité et le coût de certaines tâches exigeant de la main d’œuvre : la traite, le désherbage, la taille, la récolte…elle permet aussi de limiter les intrants (eau, engrais, produits phytosanitaires) et l’exposition aux produits phytosanitaires, tout en permettant un gain de productivité…

Si les robots sont aujourd’hui bien implantés dans les bâtiments, à l’instar des robots de traite, des développements scientifiques et technologiques sont encore nécessaires pour les adapter aux contraintes des milieux ouverts (variabilité du terrain, des conditions météorologiques) et à la diversité des tâches (semis, récolte…).

L’Observatoire des Usages de l’Agriculture Numérique (Digit-Act / Irstea) a publié une de ses premières études sur la robotique agricole en 2018. Elle indiquait que 10% des éleveurs en bovin lait étaient équipés en robots de traite et que 70% des éleveurs achetaient un robot de traite lors du renouvellement de leur matériel. Elle précisait aussi que seulement quelques robots étaient utilisés en aviculture et les autres élevages, et que pour les cultures végétales, l’usage des robots est encore faible et concerne surtout le maraîchage et la viticulture.

Le frein principal à l’adoption des robots est la nécessaire adaptation des pratiques agricoles que son usage induit: circulation des animaux, infrastructures, adaptation des cultures ou encore adaptation des pratiques pour prendre en compte l’autonomie et le mode de circulation des robots. Le gain de temps est également nuancé par les opérations de maintenance, le temps d’apprentissage des nouveaux robots et la dépendance aux alertes dans le quotidien des agriculteurs.

C’est néanmoins un marché en plein développement. L’agriculture représente le 2ème marché de la robotique de service. Le marché mondial de la robotique agricole est estimé à 15 milliards d’euros à l’horizon 2020 (source Innovaction / APCA). De nombreuses startups sont à l’œuvre à l’instar de l’entreprise Naio à Toulouse qui développe un robot capable de désherber et biner en autonomie des parcelles de légumes. Les centres techniques sont également fortement impliqués dans le développement des robots de demain, notamment les équipes d’Irstea.

2. L’Agriculture numérique, c’est aussi l’exploitation de l’information agricole (data ou données numériques), au niveau de l’exploitation, mais aussi au niveau des territoires ou des filières :

  • Agriculture de précision pour répondre précisément aux besoins des plantes et animaux : fertilisation, irrigation, alimentation des animaux assistées par ordinateur
  • Suivi et pilotage de l’exploitation, aide à la décision, partage de données, intelligence artificielle, climat smart agriculture
  • Capteurs, drones, satellite, portables, outils et machines connectés
  • Traçabilité et pilotage de la production alimentaire (circuits longs ou courts) allant de la parcelle (ou de l’animal) au consommateur

Le rapport Agriculture-Innovation 2025 (MAAF 2016) a notamment souligné l’enjeu important que représente l’exploitation des données numériques pour le monde agricole, ainsi que la nécessité de mettre en place un portail des données agricoles. La multiplication des sources de données, combinée à des capacités renforcées pour leur stockage et leur traitement, rend possible le développement de nouveaux services innovants pour l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur : agriculteurs, organisations professionnelles, industriels et distributeurs.

Ce développement conduit à une transformation radicale des usages, des modes de production, de la relation de la production à son environnement, de la relation du producteur au consommateur.

La valorisation des multiples données existantes permettra l’émergence de nouveaux services, de nouveaux outils d’aide à la décision accompagneront les agriculteurs dans la conduite de leurs exploitations, la puissante traçabilité permise par ces données géolocalisées ouvrira à l’agriculteur de nouvelles possibilités de valorisation et de contractualisation.

Les relations de l’agriculteur à sa banque, son assurance, sa coopérative ou sa chambre d’agriculture seront bouleversées.

3. Le numérique aide au développement de l’agroécologie.

L’agroécologie complexifie les itinéraires techniques. Les TIC et la robotisation croissante des exploitations accompagnent cette transition écologique. Les outils d’aide à la décision fondés sur des modèles prédictifs nourris par le big data, l’alerteront sur les problèmes de son bétail ou de ses champs et ses agroéquipements l’accompagneront avec une incroyable précision pour apporter la bonne dose au bon endroit au bon moment – qu’il s’agisse d’eau, d’engrais ou de traitements.

Pour les exploitations – mais surtout pour le territoire –, robots, drones, satellites donnent des informations précises sur les situations nutritionnelles, les probabilités d’attaques de maladies et de ravageurs… La manière de faire de l’agroécologie appuyée par le numérique sera beaucoup plus précise et intelligente. Il n’y aura pas de bonne agroécologie sans numérique hyperdéveloppé et contrôlé par le collectif (Michel Griffon, Président de l’Association de la promotion de l’agriculture écologique intensive).

4. Le numérique va bouleverser la relation commerciale.

Le numérique va avant tout changer son rapport avec le consommateur. Demain, nous pourrons davantage individualiser l’offre, grâce à la data, et mieux cibler le consommateur. C’est ce que font déjà Google et Facebook en nous proposant des publicités personnalisées. Cela permettra une mise en production au plus près des besoins des consommateurs. On pourra affiner la production pour éviter la discordance de l’offre et de la demande en limitant la fluctuation des prix. On pourra également réduire les coûts en matière de logistique, en circuit court comme en circuit long, par une mutualisation des transports. Le numérique est un magnifique outil de mise en relation des acteurs !

5. Un écosystème aux niveaux national et européen s’est rapidement constitué pour le développement de l’agriculture numérique.

Dès 2012, l’APCA a créé un réseau Innovaction sur Internet et les réseaux sociaux, pour informer les techniciens et les agriculteurs sur les innovations de l’agriculture numérique.

La formation professionnelle est également en forte mutation, en intégrant le numérique dans les modalités de formation. VIVEA accompagne depuis plusieurs années cette mutation et favorise l’émergence d’une nouvelle offre de formation intégrant la formation à distance, en particulier en créant la communauté de partage sur la formation utilisant le numérique (ForMiD-able) ainsi que le trophée de la Formation Mixte Digitale (FMD).

Le ministère de l’Agriculture et de la Forêt a créé rapidement sa plateforme Alim’agri.

Puis a été créé l’institut Convergences #DigitAg (dans le cadre des projets de recherche Convergences) piloté par Irstea qui réunit 17 acteurs dont les 4 centres de recherche nationaux dans le domaine agricole qui représentent 25 unités de recherche, 3 établissements d’enseignement supérieur (L’Université de Montpellier, Montpellier SupAgro et AgroParisTech) et l’Acta qui représentent les centres techniques agricoles.

Enfin, le projet européen Smartagrihubs réunit 160 partenaires issus de 22 pays dans le but de rapprocher les producteurs d’innovations numériques et les agriculteurs afin d’accélérer la transformation numérique du secteur agroalimentaire européen. 140 hubs d’innovations ayant leur propre écosystème ont l’ambition de se connecter dans un grand réseau européen. En France, les instituts techniques (ACTA, ARVALIS, API-AGRO) y ont inscrit leurs Digifermes et co-animent le cluster national.

Digifermes est un réseau de 13 fermes expérimentales qui défendent une vision de l’agriculture connectée. Chaque ferme est appuyée par une structure de Recherche, Développement et Innovation. L’objectif des Digifermes est de promouvoir une agriculture numérique qui réponde aux besoins des agriculteurs. Arvalis est à l’origine de la création du label des Digifermes en partenariat avec l’IDELE (Institut de l’Elevage), l’ITB (Institut Technique de la Betterave), Terres Inovia et l’ACTA. En Occitanie, seul l’Institut de la Vigne et du Vins (Vinnopole Sud-Ouest) est une Digiferme.

La chaire AgroTIC crée en 2016 par trois établissements d’enseignement supérieur et de recherche agronomiques, Montpellier SupAgro, Bordeaux Sciences Agro et l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture IRSTEA. L’enjeu de la chaire est d’explorer le potentiel de nouvelles technologies pour les usages agricoles, mais aussi de mieux comprendre les levers et les freins à leur adoption.

Citons enfin API-AGRO qui est une plateforme de partage et de diffusions de données et de services pour l’ensemble de l’écosystème agricole. Acteur majeur de la révolution numérique dans le secteur agricole en France, API-AGRO est le propulseur d’une vision stratégique à dimension européenne fondée sur l’intégrité et la sécurisation de données sectorielles dans un but de valorisation et d’innovation métier. Initiative issue du monde agricole, API-AGRO a pour but d’interconnecter et d’en fédérer les acteurs, publics et privés, autour d’une plateforme technologique indépendante, afin de développer les innovations portant la vision d’une agriculture performante et responsable. Outre le réseau des instituts techniques agricoles (ACTA), les Chambres d’Agriculture (APCA) et le GEVES, une quinzaine de structures privées ont investi au capital de la société API-AGRO SAS.

6. L’agriculteur est déjà très connecté.

Déjà en septembre 2015, les agriculteurs étaient plus connectés que le grand public sur internet via les ordinateurs fixes ou portables Ils étaient en retrait pour la tablette ou le smartphone, mais c’est beaucoup dû à la couverture en 3-4G qui n’était pas encore complète dans les zones rurales.

  • 81% des agriculteurs utilisaient Internet au moins fois par jour pour leur activité agricole.
  • 72% pour la météo
  • 71% pour les services bancaires
  • 51% pour les actualités professionnelles agricoles
  • 40% sur les données d’exploitation
  • 33% les réseaux sociaux pour des sujets agricoles
  • 82% visionnent des vidéos agricoles, 22% une fois par semaine.
  • 70% des agriculteurs équipés d’un smartphone installent des applications professionnelles.
  • 3 applications agricoles installées en moyenne
  • 59% ont réalisé au moins un achat professionnel en ligne

Les applications mise à disposition gratuitement ou non, se multiplient : des applications officielles (santé animale, santé végétale, météo, diagnostic agroécologique…), des logiciels pour la facturation, la comptabilité, la traçabilité, la gestion des stocks, la relation avec les fournisseurs, avec les acheteurs, la gestion RH… des logiciels « tout en un ».

7. Il demeure des freins et des risques au développement du numérique agricole.

La directrice de DigitAg énonçait dans un séminaire récent les freins et les risques à réduire :

  • La fracture numérique (la couverture en haut débit des zones rurales, qui est en cours d’achèvement, mais aussi l’e-illettrisme)
  • Un système à 2 niveaux où la majorité des agriculteurs se retrouve fournisseurs de données, mais pas bénéficiaire de leur exploitation
  • Le surendettement des agriculteurs pour s’équiper (cela a déjà été constaté pour les robots de traite)
  • Une perte d’autonomie des agriculteurs qui deviennent dépendants des techniciens d’une part qui maîtrisent les systèmes d’information, et d’autre part, des fournisseurs pour la maintenance des équipements
  • La captation des données et des connaissances associées par certains au détriment du collectif
  • Un bouleversement de l’organisation du conseil agricole et des modalités de formation (de production et d’acquisition des savoirs).

8. Le besoin de formation au numérique est certain, mais il est multiforme, et se conjugue sans doute avec le besoin d’accompagnement et de conseil

La formation des agriculteurs, sans doute associée à celle du conseil agricole, peut permettre de réduire la fracture numérique, de favoriser l’adoption de l’agriculture numérique par un plus grand nombre, mais aussi de créer des écosystèmes vertueux au niveau des territoires et des filières, de favoriser le partage des données et des connaissances associées.

Au-delà de l’acquisition de savoirs par les agriculteurs, il s’agit aussi de les accompagner dans la modification de leurs pratiques induite par l’adoption d’une nouvelle solution numérique, et ce faisant, d’adapter la solution numérique au contexte spécifique des exploitations. Au-delà de l’acquisition individuelle d’une nouvelle compétence, il y a également une acquisition collective de la compétence numérique quand la solution numérique s’inscrit dans un projet de système d’information collectif, au niveau d’un territoire ou d’une filière. La mutualisation des expériences individuelles et la capitalisation de ces expériences peuvent être opérées dans le cadre de l’acquisition collective de la compétence numérique. Dans ce processus, la production de connaissance n’est plus le privilège de la recherche, des « sachants ». Le savoir est produit par le collectif dans le cadre même de la formation. La mutation numérique modifie ainsi le principe de la formation « à la papa » comme le disait Mme Christiane Lambert lors du séminaire organisé par VIVEA à Labège en novembre 2016 sur la formation mixte digitale. La compétence numérique en agriculture ne peut se faire dans le cadre de la transmission descendante du savoir de la vulgarisation agricole, mais dans un cadre plus dynamique de production du savoir, au sein d’un triptyque recherche/conseil/praticien. Et fort justement, ce mode de formation peut être mis en œuvre dans le cadre de la formation mixte digitale.

Pour illustrer ce propos, les premiers résultats de l’Observatoire des Usages de l’Agriculture Numérique d’une étude en cours sur le numérique et les éleveurs extensifs, indiquent que les besoins des éleveurs pour adopter des solutions numériques (robots et applications de gestion de troupeau et des pâtures) dépassent largement les besoins classiques de formation :

  • Souhait de rencontrer les entreprises et de participer à la recherche
  • Être formés sur la base des technologies / être capable de faire une première maintenance
  • Être accompagné dans l’acte d’achat et la mise en place des outils numériques dans le cadre spécifique de son élevage.

Peut-on encore espérer une croissance économique durable en France ?

Une analyse en 22 graphiques reprenant les données en série chronologiques longues de 1949 à 2017 : télécharger Evolution du nombre heures travaillées

L’analyse des séries chronologiques « longues » (*) de 1949 à nos jours est particulièrement intéressante pour appréhender l’évolution structurelle de l’économie. L’approche à partir du nombre des personnes employées et du volume des heures travaillées, en englobant tous les travailleurs, salariés et non-salariés, donne un point de vue inhabituel qui est finalement plus proche de la réalité vécue par tout le monde.
Elle permet aussi d’analyser la productivité de l’heure travaillée dans les différents secteurs d’activité, et sans surprise, cela montre que la productivité a considérablement évolué, tout particulièrement dans les secteurs où la mécanisation, l’automatisation et le numérique ont démultiplié la valeur produite par heure de travail. Et bien entendu, la croissance économique très forte de 1949 à 1975, puis encore assez forte depuis 1975 jusqu’à nos jours, n’a été possible qu’avec une augmentation tout aussi forte de la consommation d’énergie. Les évolutions récentes indiquent bien que ce type de croissance a des limites naturelles : démographique, écologique et même sociale maintenant que l’économie, notre mode de consommation, notre mode de production se vivent et se pensent à l’échelle de la planète.
Ce qui peut être encourageant dans la perspective d’une lutte contre l’émission des gaz à effets de serre, est que l’augmentation de la consommation d’énergie rapportée à l’heure travaillée dans les secteurs de production des biens (secteurs primaires et secondaires) a été stoppée à partir de 2000 alors que l’augmentation de la productivité s’est poursuivie, ce qui signifie que les activités économiques tendent réellement à améliorer leur efficacité énergétique. L’effort doit se poursuivre sans aucun doute, mais cela montre qu’il est possible d’avoir une croissance économique sans devoir consommer encore plus d’énergie.
La question qui se pose alors est : peut-on espérer une croissance économique avec une moindre consommation d’énergie ?

D’un point de vue global et structurel, il apparaît que l’augmentation du PIB ne peut plus être portée en France par la croissance démographique, ni par une amélioration de la productivité horaire due à une amélioration technologique car il y a une limite entropique (naturelle) au remplacement de l’homme par la machine pour produire les biens ou les services. Aussi, pour maintenir voire augmenter le niveau de PIB par habitant, il convient d’augmenter le volume des heures travaillées par actif dans un contexte démographique défavorable, le nombre des actifs en âge de travailler tendant à diminuer (dû au vieillissement de la population). Aussi il faudra concrètement agir sur plusieurs leviers : diminution drastique du chômage, moins de jours de congés, plus d’heures supplémentaires, entrée plus rapide des jeunes dans le monde du travail, départs plus tardifs à la retraite, immigration d’actifs en âge de travailler… N’est-ce pas toutes les pistes de réflexion actuellement en débat ?

La période de crise est surtout mesurable qu’à partir de 2000, alors que le chômage de masse s’installe définitivement au-delà des 2 puis des 3 millions de demandeurs d’emploi. La crise peut d’ailleurs se comprendre comme étant l’impossibilité de l’économie à donner du travail à tous les actifs, compte tenu de la concurrence internationale qui contraint les secteurs industriels comme de nombreuses activités des services marchands, mais aussi des limites budgétaires publiques (taux de prélèvements obligatoires fiscaux et sociaux au maximum, endettement public également au maximum) qui contraignent l’augmentation des services non marchands (administration publique, enseignement, santé, action sociale). Nous sommes là au cœur du débat actuel des politiques publiques. Les revendications sociales exprimées vigoureusement depuis septembre 2018 expriment bien la contradiction dans laquelle se trouve l’économie française : diminuer les prélèvements fiscaux et sociaux mais augmenter les aides publiques, l’action sociale, les services publics (administration publique, santé, prise en charge des personnes dépendantes…), tout en exigeant des entreprises privées à embaucher les chômeurs ou à maintenir les emplois quand ils sont menacés.

La bonne nouvelle que nous enseigne la mise en regard de l’évolution du PIB et de la consommation totale d’énergie, est que l’on peut envisager une diminution de la consommation d’énergie sans renoncer à une croissance économique. La question posée est de quelle croissance économique l’on désire : cela doit être le développement d’activité économique moins consommatrice d’énergie, permettant des économies d’énergie ou des productions d’énergie renouvelable avec un effet positif sur le climat.
Cela passe aussi, en même temps, à un changement des modes de consommations, permettant de diminuer la consommation finale d’énergie, par le choix de produits et de services moins énergivores, par le choix de modes de vie et d’habitats moins énergivores (transport, chauffage, éclairage…).

L’enjeu majeur de demain sera sans doute de diminuer la consommation d’énergie, en tout cas de diminuer très fortement l’énergie d’origine fossile. Cela semble possible sans renoncer à une augmentation de la productivité. Notons qu’un des enjeux de la numérisation du process industriel ou de l’agriculture est de réduire la consommation d’énergie, comme que du gaspillage des matières premières ou de la pollution. Le développement durable est définitivement numérique.
Mais comme vu précédemment, la croissance économique avec une diminution de consommation d’énergie peut aussi être obtenue sans forcément chercher à augmenter la productivité, mais en augmentant le volume global des heures travaillées. Avant toute autre solution, il s’agit sans aucun doute d’améliorer sensiblement le taux d’emploi de la population active, des jeunes avant tout mais aussi des seniors. Puis on peut penser au développement de modes de transport alternatifs à la voiture, au développement d’un habitat peu consommateur d’énergie, voire à énergie positive, au développement d’une économie de la solidarité et d’accompagnement renforcé des personnes dépendantes ou en difficulté, à l’adoption d’une alimentation plus saine, issue d’une agriculture moins industrielle et plus respectueuse de l’environnement, au développement de loisirs et du tourisme verts moins énergivores, sont autant de pistes pour un développement économique qui fournit de l’emploi à plus de monde, resserre les liens sociaux, avec un mode de consommation plus sain pour soi et pour l’environnement. Cette liste n’est évidemment pas limitative.
J’ai, pour ma part, entendu le Président de la République inscrire ces pistes dans sa feuille de route, lors de sa conférence de presse d’avril 2019. En tout cas, l’espérance que notre société puisse trouver une solution aux grands défis écologiques tout autant que sociaux et économiques de demain, me l’a fait entendre.

(*) Sources des données utilisées : INSEE Comptes annuels de 1949 à 2017 pour l’emploi, le volume d’heures travaillées et la valeur ajoutée brute, et SDES Observatoire de l’énergie pour la consommation d’énergie.

Télécharger l’analyse en 22 tableaux statistiques : Evolution du nombre heures travaillées

Les français travaillent-ils moins que les autres européens ?

Objet : article du site www.pollen-conseil.fr
Auteur : Hugues JURICIC
Date : 2 mai 2019

Introduction

Le Président de la République lors de sa conférence de presse parmi ses nombreuses réflexions et mises en perspectives de la politique, a avancé que les travailleurs français étaient ceux qui travaillaient le moins en Europe et qu’un enjeu fort pour accentuer la croissance était que l’on allongeât ce temps de travail. Évidemment cela a pu choquer. Le Président traitait-il encore les français de fainéants ? Et il a d’ailleurs été immédiatement rétorqué par une journaliste que cela n’empêchait pas la France d’avoir une des meilleures productivités du travail d’Europe.

Ces deux affirmations « la durée du travail la plus faible » et « la meilleure productivité du travail » peuvent apparaître comme contradictoires. Dans quelle mesure sont-elles vraies ? et que signifient-elles en réalité ? Ces deux notions doivent être clarifiées.

Un article de Thomas Piketti, l’économiste bien connu, sur son blog, datant de 2017 fait un excellent exposé de ces questions et comparent les temps de travail et la productivité du travail entre la France et plusieurs pays. Nous invitons le lecteur qui souhaite approfondir le sujet à lire l’article et les tableaux de données statistiques (voir les références en fin d’article). On peut bien entendu être réservé sur l’analyse faite par Thomas Piketti sur les causes ou sur les remèdes à apporter, mais l’analyse des faits et chiffres est très solide et particulièrement intéressante. Pour étayer l’analyse présentée ici, en grande partie inspirée de l’article de Thomas Piketti, ont été utilisées des données issues d’études de la DARES (également citées en fin d’article).

Les trois indicateurs à prendre en considération, bien qu’imparfaits comme le sont tous les indicateurs statistiques économiques, sont le temps de travail annuel des actifs ayant un emploi (salarié ou non salarié), la production intérieure brute (c’est-à-dire la valeur ajoutée, précisément produite par les actifs ayant un emploi) et la productivité horaire qui est tout simplement le PIB divisé par le volume total des heures travaillées.

  1. Durée annuelle du temps de travail

A1. Comparaison européenne de la durée moyenne de tous les travailleurs

La durée annuelle du temps travail intègre tous les travailleurs, qu’ils soient salariés ou non-salariés, à temps plein ou à temps partiel. Il apparait alors que la durée moyenne en France est parmi les plus faibles d’Europe. Le seul pays européen où la durée est encore plus faible est l’Allemagne. En soi c’est une information intéressante.
Le Président n’avait donc pas complètement tort, mais il faut nuancer son propos.

Ce qui est intéressant dans l’évolution des durées annuelles de 1970 à 2015, est qu’elles ont diminué partout, et un peu plus en France et en Allemagne.
Elle est ainsi passé de 2000 heures en 1970 pour atteindre 1470 heures en 2015, soit une diminution de plus de 25% en 45 ans.
Il est aussi remarquable de noter un ralentissement en France de cette évolution à la baisse à partir de 2000 alors que l’on a réduit la durée légale de travail !
En fait l’explication de l’écart entre l’Allemagne et la France mais aussi celle du ralentissement de la diminution du durée moyenne annuelle en France, trouve son explication dans le développement du temps partiel en Allemagne (qui accompagne d’ailleurs la diminution du chômage) alors qu’en France la part des emplois à temps partiel a diminué suite aux 35h (ce qui coïncide d’ailleurs avec une augmentation du chômage à l’inverse de l’effet recherché).


Source : données OCDE – traitement T Piketti

Ainsi quand on compare le temps de travail annuel est des seuls salariés à temps complet, la France apparaît bien le pays où le travailleur travaille le moins. Le Président a raison mais il fallait préciser que l’on parle du temps de travail annuel à temps complet.

A2. Comparaison européenne du temps de travail des seuls salariés à temps complet


Source : Etude Dares n°20 de 2016 sur le temps travail

Ainsi l’Allemagne où le temps partiel est particulièrement important, a une durée du temps de travail pour les salariés à temps complet nettement plus élevé, à 1850 heures en 2013, alors qu’en France, la durée moyenne annuelle tourne autour de 1650 heures depuis 2005 (la durée légale étant de 1617 heures, la différence correspond aux heures supplémentaires).
Il est intéressant de noter que la Belgique a une durée qui reste autour de 1750 heures depuis 1999. Le Royaume Uni est le pays où la durée moyenne est la plus élevée en 2013, ce qui sera confirmé dans les années suivantes, avec une durée annuelle moyenne de 1900 heures, soit 15% de plus qu’en France.

A3. Pratique du temps partiel en Europe

La pratique du temps partiel est particulièrement plus élevée dans les pays scandinaves, et de façon remarquable aux Pays-Bas, où elle est devenue la norme avec un taux de temps partiel de près de 80% pour les femmes et de 28% pour les hommes.
Cet écart dans la pratique du temps partiel explique les différences constatées entre la durée annuelle selon qu’on compte ou pas le temps partiel. D’autant plus qu’en France s’est développée une pratique du temps partiel à environ 80%, temps partiel souvent subi dans les métiers de service fortement féminisés (commerce, grande distribution ou services aux personnes).

A4. Durée annuelle des salariés à temps complet en France

Bien entendu, la durée moyenne est un peu différente selon que l’on travaille dans le secteur public ou privé.
Toutefois, la durée du temps travail du secteur public est tirée à la baisse car le temps de travail des enseignants n’est pas comptabilisé de la même façon (ils sont certes les vacances scolaires mais le temps de travail à la maison, pour corriger les copies ou préparer les cours, est très sous-estimé). Sans ce biais, l’écart serait moindre entre le public et le privé, et s’expliquerait principalement par le fait que dans le secteur privé il y a plus d’heures supplémentaires déclarées et payées.

On peut même que l’évolution de la durée annuelle des salariés à temps complet tend à augmenter (légèrement) depuis 2006.

A5. Durée moyenne selon le statut salarié ou non salarié en France

Quand on compare l’évolution de la durée moyenne selon le statut, salariés à temps complet, à temps partiel et non-salariés, il est intéressant de constater la forte diminution du temps de travail des non-salariés. La baisse est imputable aux professions libérales comme les médecins mais aussi au très fort développement des micro-entrepreneurs, qui ont un rapport au travail qui tend à se rapprocher de celui des travailleurs salariés.
On constate en revanche que la durée moyenne annuelle de l’ensemble des actifs employés est quasiment constante autour de 1600 heures, la légère augmentation de la durée moyenne des salariés qui passe de 1500 heures en 2003 (c’est-à-dire après la mise en place des 35h) à 1550 heures en 2018 compense la forte diminution de la durée annuelle des non-salariés, du fait du nombre des salariés très supérieur à celui des non-salariés.

A6. Durée moyenne du temps de travail rapportée au nombre des actifs en âge de travailler.

Il est également intéressant prendre en considération le chômage et son impact sur le temps de travail moyen. N’oublions pas qu’un des objectifs de la réduction de la durée légale du temps de travail à 35 heures était le partage de l’emploi, c’est-à-dire une diminution du chômage. Cette problématique bien que très intéressante à étudier mais est hors sujet pour le présent article.

Notons que les statistiques considèrent les actifs âgés de moins de 65 ans. Dans de nombreux pays, et de plus en plus en France, les actifs peuvent travailler au-delà de 65 ans, voire au-delà de 70 ans. Mais les bornes 15-64 ans inclus demeurent pertinentes d’un point de vue statistique.
Alors que la moyenne européenne se situe à 67% d’actifs employés, le taux d’emploi français est de 65% alors que celui des pays de « plein emploi » est d’environ 75%.
L’écart correspond assez bien à celui taux de chômage mais pas seulement. En effet ne sont pas comptés comme ayant un emploi, les actifs en âge de travailler qui sont déjà à la retraite avant 65 ans, ou sont non-inscrits à Pole emploi (jeunes, femmes « au foyer ») ou sont indemnisés mais dispensés de recherche d’emploi, on encore sont en formation (initiale ou continue)…
Soulignons aussi que les pays de « plein emploi » sont ceux qui ont un taux d’emploi à temps partiel particulièrement élevé (voir ci-dessus en A3).
Faut-il en conclure que le développement du temps partiel est une piste sérieuse pour réduire le chômage ? Que cela aurait pu être une option plus efficace que les 35 heurs qui ont tendu à réduire le recours au temps partiel ?

A7. Durée moyenne du temps de travail rapportée au nombre des habitants

Il est également intéressant de prendre en considération la démographie. Le poids des jeunes et des personnes âgées va d’une part affecter arithmétiquement le taux d’emploi global, mais aussi, d’autre part, faciliter l’accès au travail des plus jeunes (flux des jeunes entrants plus faible) ou le maintien au travail des plus âgés (quand le nombre des personnes âgées incite à retarder l’âge de la retraite).
Ces deux phénomènes expliquent le taux d’emploi qui augmente en Allemagne et au Royaume Uni pour tendre à 50%, alors qu’elle reste aux alentours de 42% en France (chômage des jeunes et départ à la retraite ou pré-retraite plus précoce). On retrouve ces phénomènes en Italie mais c’est surtout le taux d’emploi des actifs en âge de travailler qui est particulièrement bas (57% contre 65% en France, voir en ci-dessus en A6).


Source : données OCDE – traitement T Piketti

Le taux d’emploi joue évidemment sur le nombre d’heures travaillées rapporté à la population totale (par habitant).
Comme le taux d’emploi par habitant est plus élevé en Allemagne qu’en France, le nombre d’heures travaillées par habitant (voir tableau ci-après) qui évoluait depuis 1970 de façon très similaire, s’améliore depuis 2005, et devient nettement supérieur à celui de la France, alors que la durée du travail des actifs ayant un emploi est plus faible en Allemagne.
Le Royaume-Uni qui a un taux d’emploi par habitant élevé et un nombre d’heures très élevé, obtient un nombre d’heures travaillés par habitant particulièrement élevé, de l’ordre de 800 heures par habitant.
En Italie, le nombre d’heures travaillées par actif en emploi est plutôt élevé mais le taux d’emploi par habitant est faible aussi le nombre d’heures travaillés par habitant est du même ordre de grandeur qu’en France ou en Allemagne.

La durée française du temps de travail par habitant est donc la plus basse d’Europe, le poids démographique des jeunes et des personnes âgées aggravant le phénomène constaté sur la durée du temps de travail par actif ayant un emploi.
Aussi fixer comme enjeu majeur l’intégration des jeunes au travail (développement de l’alternance, meilleure orientation, lutte contre l’échec scolaire…) ainsi que s’interroger sur le maintien au travail des actifs plus âgés, voire de repousser l’âge de départ à la retraite, semblent parfaitement justifié. L’effet attendu sera bien un allongement de la durée du temps de travail. On peut inciter à plus d’heures supplémentaires ou diminuer le nombre des jours de congé ; cela permet d’augmenter la durée annuelle des salariés à temps complets mais aura un effet relativement limité, sans parler de l’incidence sociale.
Pour être particulièrement, il s’agit aussi et surtout d’augmenter le nombre d’actifs au travail : augmenter le développement de l’alternance (se former au travail), favoriser l’embauche des jeunes et des moins qualifiés, former les actifs pour améliorer encore leur employabilité, sans doute aussi aider à maintenir les seniors en emploi en augmentant le taux d’emploi des actifs de 55 à 65 ans, et éventuellement inciter à rester au-delà des 65 ans.
Toutes ces pistes semblent être bien prises en compte dans le plan de bataille présenté par le Président de la République.
Le seul point qui n’apparaît pas et pourtant semble une des clés de succès des pays scandinave et de l’Allemagne dans la lutte contre le chômage, c’est le développement du temps partiel. Certes favoriser des congés parentaux et en augmenter la durée, tant pour la mère que pour le père, va de fait augmenter le temps partiel (effet mesuré sur la durée annuelle moyenne du temps de travail). Mais il s’agit comme au Danemark, aux Pays-Bas ou en Suède, de favoriser le temps partiel voulu pour une meilleure qualité de vie.

  1. Productivité

L’analyse de la problématique de la durée du temps de travail ci-dessus montre bien qu’il ne s’agit pas d’opposer à la question de l’allongement du temps de travail, la question de la bonne productivité du travail. Son analyse est néanmoins intéressante.
Comme déjà présenté en avant-propos, la productivité se calcule simplement en divisant le PIB produit intérieur brut par le nombre total des heures travaillées (salarié et non-salarié).
Comme nous l’avons vu, la mesure du nombre des heures travaillées n’est pas exempte d’approximation. Il est de même de la mesure du PIB. Et l’on peut critiquer sur ce qu’il représente et préférer d’autres indicateurs prenant mieux en compte la qualité de vie ou encore prenant en considération des coûts cachés, notamment des coûts environnementaux.
Mais à défaut d’autres indicateurs, la productivité calculée avec le PIB permet de mieux approcher l’efficacité économique de l’entreprise France en comparaison avec les autres pays.


Source : données OCDE – traitement T Piketti

Il est difficile de comparer des pays dont le cours de la monnaie peut affecter l’appréciation du PIB (comme le Japon, les USA ou la Chine). Il est plus pertinent de comparer des pays de l’Euro. Ainsi on peut se demander si le décrochage du Royaume Uni depuis 2000, n’est pas simplement (ou principalement) due au décrochage de la Livre Sterling.
En faisant abstraction de ce décrochage récent du Royaume Uni, il est remarquable de constater une progression très similaire du PIB par habitant des principaux pays européen, passant d’environ 15000 € (en euros 2015) en 1970 à environ 35000 € en 2015. A l’évidence, la période qui a suivi les fameuses « trente glorieuse », présente un taux croissance relativement constant de 2% par an ! Finalement les différences de comportement des économies sont surtout visibles en 2009, où pour la première fois depuis bien longtemps il y a eu une décroissance du PIB dans tous les pays.
C’est l’Allemagne qui apparaît sortir de la crise de 2009 avec une économie la plus vaillante, en récupérant en 2 ans la tendance de croissance à 2%, ce que n’ont pas pu faire l’Italie, la France ou le Royaume Uni (avec, pour ce dernier, l’incertitude due à l’effet du cours de la livre sterling versus euro).
Nous avons vu qu’il y avait des écarts au niveau du temps de travail par habitant. Le nombre d’heures de travail par emploi ou par habitant était particulièrement élevé pour le Royaume Uni ou pour l’Italie. En conséquence, la productivité du travail est plus faible en Italie ou au Royaume Uni, autour de 42 € l’heure (valeur ajoutée produite en moyenne par heure de travail).
Et la productivité est d’environ 55 € en France et en Allemagne. L’évolution récente plus importante du PIB allemand est compensée par une augmentation du nombre des heures travaillées.


Source : données OCDE – traitement T Piketti
Il ne faut pas mécaniquement associer la productivité moyenne avec la rémunération du travail. D’une part, il y a les prélèvements sociaux et fiscaux, et d’autre part il convient de rémunérer l’actionnariat et les prêts financiers. Et puis la productivité du travail va fortement varier selon le secteur d’activité. Et in fine, la productivité est calculée pour l’ensemble des salariés, dont la rémunération peut fortement varier selon le métier et la qualification.

La situation de la France et celle de l’Allemagne présentent de nombreuses similitudes sauf depuis 2009. La reprise de la croissance allemande ne correspond pas à une augmentation de la productivité. Cela montre que la croissance est structurellement due à l’augmentation du volume des heures travaillées (moindre chômage, meilleur taux d’emploi des actifs les plus jeunes et les plus âgés) et non pas à une évolution différente de la productivité qui s’expliquerait par une technologie ou une organisation des activités plus performante. L’explication est à trouver principalement au niveau du marché du travail. Il y a sans doute de nombreux facteurs explicatifs mais indéniablement l’économie allemande a pu se développer en donnant du travail à plus d’actifs.

En guise de conclusion

Pour augmenter le PIB tout en luttant pour atteindre le plein emploi, il faut paradoxalement, sans doute à l’encontre du concept des 35 heures et du partage du travail obtenue par la diminution du temps de travail, augmenter la durée moyenne annuelle du temps de travail, qu’elle soit rapportée par actif employé, par actif en âge de travailler ou par habitant. Mais pour ce faire, il faut agir sur de nombreux leviers (formation, emploi, adaptation aux enjeux du numérique, du changement climatique, ou de la dépendance des personnes âgées…). Il semble bien que derrière les propos du Président de la République sur le fait que la durée du temps de travail était sans doute trop faible, il y avait ce constat et ces enjeux.

A la suite de la présente analyse, nous pouvons ajouter l’enjeu d’une amélioration des conditions de travail (y compris la question du transport domicile-travail) et meilleure adéquation entre vie personnelle et vie professionnelle, qui passe sans doute par un fort développement du temps partiel à l’instar des pays de l’Europe du Nord. La formation tout au long de la vie telle qu’elle se dessine dans la réforme de la formation avec une plus grande individualisation de la formation, peut participer à cette évolution. Le développement de la vie associative et de la solidarité vécue au niveau local, peut également profiter du développement du temps partiel. Cet enjeu a été évoqué par le Président de la République. On peut rêver d’une reconnaissance du bénévolat dans les parcours professionnels, dans les CV mais aussi dans le calcul de la retraite… et pourquoi pas une rémunération compensatoire ?

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Les français travaillent ils moins en France que les autres européens

Sources :

Les français seraient plutôt satisfaits de leur situation professionnelle

Les français sont-ils insatisfaits ou, au contraire, satisfaits de leur situation professionnelle ?
La réponse serait qu’ils sont plutôt satisfaits, voire très satisfaits contrairement à ce qu’ils peuvent dire de la société en général.

Abondamment commenté dans les médias, le dernier sondage en date mené par Gallup sur la motivation des salariés a fait grand bruit : à en croire l’institut, seuls 6 % des employés français s’affirment engagés au travail. Un taux qui en fait les salariés les moins motivés d’Europe. Particularités culturelles, chômage élevé, management paternaliste… toutes sortes d’arguments ont été avancés par des experts en ressources humaines afin de cerner l’origine de ce « mal français ».
Mais un nouveau sondage mené par Korn Ferry vient battre en brèche ce constat. Le cabinet de conseil a tenté, à son tour, de mesurer la motivation des salariés français. Et les résultats de son enquête sont nettement moins alarmants que le sondage réalisé par Gallup. Ainsi, 74 % des salariés français interrogés par Korn Ferry déclarent avoir de l’intérêt pour leur travail – un taux stable depuis cinq ans – et 75% déclarent éprouver de la « fierté » à travailler pour leur entreprise. (source : Le Monde 12 avril 2019)

Est-ce la sempiternelle problématique de la manière dont la question est posée ? Le contexte (quand, où est posé la question, avant quelles autres questions ?) n’induit-il pas des réponses à une même question qui peuvent être très variables?
D’un côté le sondage Gallup confirme que les français manifestent facilement leur mécontentement, mais de l’autre, le sondage Korn Ferry indique bien qu’en final, les français sont plutôt satisfaits de leur sort quand on les interroge sur leur situation propre, en particulier.

Les enquêtes récurrentes de l’INSEE (Enquêtes Statistiques sur les revenus et les conditions de vie (SRCV) de 2010 à 2017) indiquent que moins de 8% des français donne une note d’insatisfaction concernant leur emploi, et 71% donne une note de satisfaction (de 7 à 10 sur 10). Cette relative satisfaction diminue, elle était de 75% en 2010, mais cela montre une relative satisfaction vis-à-vis du travail qui corrobore les résultats du sondage de Korn Ferry.

Autre étude qui va dans le même sens : l’étude DEFIS réalisée par le CEREQ.
Même si celle-ci n’a pas pour sujet la satisfaction vis-à-vis de l’emploi, mais les parcours professionnels et la formation, il est donné une indication de la satisfaction des actifs salariés vis à vis de leur situation professionnelle selon leur parcours.
Ainsi 80% des salariés sont globalement satisfaits de leur situation professionnelle. Pour 1/3 d’entre eux, la situation n’a pas évolué entre 2014-2017, mais ils sont satisfaits du travail où leurs qualifications et compétences sont correctement utilisées, et les conditions de travail satisfaisantes. Pour les autres 2/3, en plus de conditions de travail satisfaisantes et d’une bonne utilisation des compétences,  il y a eu en sus une évolution de l’emploi qui s’est traduit pas une hausse de niveau de responsabilité, d’autonomie, d’intérêt du travail, avec augmentation de salaire. Ainsi pour 80% des français, qu’il y ait eu une évolution ou pas de leur emploi, la situation professionnelle est  globalement satisfaisante.
En revanche, pour 20% des salariés, le parcours professionnel est moins satisfaisant. Le travail est déclaré pénible, répétitif, perçu comme peu rémunéré, ne correspondant pas aux qualifications ou sous-utilisant les compétences. Pour 40% d’entre eux (8% des salariés), le parcours est défini comme « heurté » avec un changement de fonction, de poste ou d’établissement, correspondant à une baisse du niveau de responsabilité, d’autonomie, d’intérêt du travail et/ou à des conditions de travail dégradées. Pour ces 20% de salariés, la situation professionnelle est considérée, on peut aisément le comprendre, comme insatisfaisante.

De ces 3 études (Sondages Korn Ferry, Enquêtes SRCV de l’INSEE, Enquêtes DEFIS du CEREQ), il ressort bien que 75% à 80% des salariés sont plutôt satisfaits de leur travail, seulement 20% plutôt insatisfaits, et 7 à 8% très insatisfaits.
On est très loin des résultats du sondage GALLUP.
Ce qui est intéressant de souligner est que la satisfaction sur la situation professionnelle, n’est pas dominée par la question de la rémunération, mais semble-t-il assez largement par la bonne utilisation des qualifications et des compétences, par la progression vers plus d’autonomie, de responsabilité, et d’intérêt du travail. La valorisation du travail n’est pas (uniquement) une question monétaire : la qualité de vie au travail, la reconnaissance du client, de la hiérarchie et des collègues, la possibilité d’évoluer, de progresser… sont des éléments qui comptent (aussi).

Hugues JURICIC, le 12 avril 2019

Télécharger le note Bref du CEREQ sur les résultats de l’enquête DEFIS : Bref374-web

Les français déclarent être plutôt satisfaits de la vie qu’ils mènent.

Analyse de la satisfaction des français sur la vie qu’ils mènent

Source : Insee, enquêtes Statistiques sur les revenus et les conditions de vie (SRCV) de 2010 à 2017

Champ : France métropolitaine, personnes âgées de 16 ans ou plus vivant en ménage ordinaire.

Analyse : Hugues JURICIC (avril 2019)

La note de satisfaction donnée par les français sur leur vie menée diminue légèrement entre 2010 et 2017, mais avec une assez grande variation due entre 2012 et 2013 où l’on peut constater un décrochage en 2013 (l’enquête est réalisée en décembre de l’année).
La distribution de la note donnée évolue de façon un peu plus marquée. Si la proportion des français les plus insatisfaits de leur vie (note de 0 à 4) diminue en passant de 8,3% à 6,0%, la proportion des plus satisfaits (note de 9 et 10) diminue aussi en passant de 25,6% à 18,3%.
C’est la catégorie des français relativement satisfaits (note de 7 et 8) qui a augmenté de façon passant de 46,8% à 55,0%.
La proportion des français très et plutôt satisfaits (note de 7 à 10) a légèrement augmenté en passant de 72,4% en 2010 à près de 73,3% en 2017, et celles des français très ou plutôt insatisfaits de leur vie (note de 0 à 6) a légèrement diminué en passant de près 27,7% à 27,4%. Ces deux tendances inverses se compensant, la note moyenne apparaît quasiment identique entre 2010 et 2017.
En décomposant la note de satisfaction donnée à la vie menée selon les différents aspects de la vie, on retrouve l’évolution légèrement à la baisse avec la relativement forte chute en 2013 immédiatement compensée par une hausse les années suivantes.
On retrouve cette évolution pour la satisfaction vis à vis du logement (logement environnement et localisation) ou de l’emploi mais pas pour les loisirs.
Il est remarquable que la satisfaction pour le logement soit systématiquement supérieure à la satisfaction globale ou à la satisfaction vis-à-vis de l’emploi. En revanche, la satisfaction vis-à-vis des loisirs est systématiquement plus faible, mais elle augmente sur la période.
La satisfaction de la relation avec les amis ou la famille se situe à un niveau élevé, très élevé même en comparaison avec la satisfaction concernant les loisirs. Les enquêtes de 2010 et 2011 ne mesuraient la satisfaction relative à cet aspect de la vie, mais l’évolution entre 2012 et 2017 des deux indicateurs montrent une forte similitude avec le logement ou le travail.
Les moyennes des notes données indiquent assez nettement que les français sont plutôt satisfaits chez eux, en famille ou avec leurs amis, que l’emploi finalement est plutôt satisfaisant et que l’insatisfaction la plus grande concerne les loisirs, mais cela s’améliore un peu.
La satisfaction de leur logement (logement, localisation et environnement) est plutôt grande. La proportion de français très satisfaits (note de 9 et 10) est même particulièrement élevée (30,1% des français en 2017) et, à l’opposé, celle des français très ou plutôt insatisfaits (note de 0 à 6) est relativement faible (19,2% en 2017).
L’évolution est très faible entre 2010 et 2017, la relative baisse de 2013 qui a été compensée les années suivantes concerne surtout les français les plus satisfaits de leur logement.
Concernant l’emploi, la proportion des français très satisfaits est plus faible (19,8% en 2017) et est en diminution depuis 2010, la baisse de 2013 n’ayant pas été compensée les années suivantes. Et à l’opposé la proportion des français insatisfaits (note de 0 à 6) est en nette augmentation passant de 24,6% à 29,2%, la hausse débutée en 2013 s’étant poursuivie les années suivantes.
Du point de vue de l’emploi, on peut dire qu’il y a eu une dégradation de la situation de l’emploi en 2013 qui s’est poursuivie et confirmée les années suivantes, et semble-t-il même amplifiée en 2017.
L’emploi apparaît bien comme une préoccupation centrale dans la satisfaction des français sur leur vie menée en général.
En ce qui concerne les loisirs si la note moyenne s’est améliorée, il faut prendre en considération que 35,2% des français sont très ou plutôt insatisfaits de leurs loisirs. Cela peut être multifactoriel, correspondre à une offre de loisirs insatisfaisante mais aussi un manque de temps ou d’argent pour avoir des loisirs de façon satisfaisante.
La proportion des français insatisfaits tend toutefois à diminuer, puisqu’ils étaient 41,3% en 2010 et 35,2% en 2017, alors la proportion de ceux qui sont très satisfaits reste quasiment constante autour de 20%.
Les français sont plutôt bien chez eux, un peu moins bien au boulot mais globalement ils s’embêtent un peu (ou n’ont pas le temps ou l’argent pour avoir des loisirs satisfaisants).
En 2017, une proportion plus importante était peu satisfaite de ses loisirs (35% avec une notre de 0 à 6 sur 10) contre seulement 19% pour leur logement et 29% pour leur emploi, et 27% de façon générale.
La proportion des très satisfaits de façon générale (note de 9 ou 10 sur 10) représentant 18% des adultes, mais 30% pour les très satisfaits pour leur logement ( !) et 20% pour l’emploi ou les loisirs.

Satisfaction selon le genre
Très peu de différence entre les hommes et les femmes, une très légère meilleure satisfaction des hommes. Une même évolution avec une légère dégradation en 2013 alors que cela semblait aller mieux entre 2010 et 2012.

La satisfaction concernant le logement est quasiment identique entre les hommes et les femmes. Pas de différences non plus vis-à-vis de l’emploi.
Pour les loisirs, la satisfaction des femmes est moins grande que celle des hommes, mais avec une tendance à l’amélioration pour les femmes. Sans aucun doute le facteur temps pour les loisirs joue en défaveur des femmes.
Pas de différence en ce qui concerne les relations avec les amis ou la famille.
La seule différence entre la satisfaction (moyenne) entre les hommes et les femmes concerne les loisirs et cette différence s’est atténuée entre 2010 et 2017.

Evolution entre 2014 et 2017 de la satisfaction selon les déciles du revenu du ménage.
L’argent ne fait pas le bonheur mais il semble y contribuer. Mais pas tant que cela !
Il y a bien une progression de la satisfaction (moyenne) plus le revenu augmente mais l’écart entre le 1er décile (10% des personnes dont le revenu du ménage est le plus bas) et le 10ème décile (10% des personnes dont le revenu du ménage est le plus élevé) n’est que de 1,1 (note moyenne de 6,5 contre 7,6 en 2017). Il baisse même entre 2014 et 2017, la satisfaction moyenne des premiers déciles augmentant légèrement alors que celui des derniers déciles diminuent légèrement En ne considérant que la proportion des personnes déclarant un indice de satisfaction inférieure à 7, on observe bien la dégressivité de la relative insatisfaction selon le niveau de revenu.
On voit aussi que l’insatisfaction relative diminue entre 2014 et 2017 pour les plus bas revenus et augmentent pour les plus hauts… Cela semble assez en contradiction avec les revendications exprimées dans les mouvements sociaux de la fin 2018.

Distribution des niveaux de satisfaction selon le type de zone urbaine d’habitation
En 2017, la proportion des très satisfaits et des moins satisfaits apparaît assez peu affecté par le fait d’habité dans des unités urbaines de plus ou moins grandes importances. Elle est même étrangement identique entre le fait d’habiter dans une métropole ou dans une commune rurale !
Ce serait dans les zones urbaines de taille moyenne (50 000 à 200 000 habitants) qu’il y aurait la plus grande insatisfaction (31% des personnes avec un indice inférieur à 7 et seulement 14% avec un indice supérieur à 9).

Télécharger le document avec les graphiques :
La satisfaction des français sur leur vie de 2010 à 2017

L’acte de naissance des 11 OPCO a été publié : un réel gain en cohérence pour l’essentiel.

L’acte de naissance des OPCO opérateurs de compétences est publié le 29 mars 2019 dans le journal officiel.

Les OPCO remplacent les OPCA qui collectaient et géraient les fonds à la formation des salariés. Maintenant la collecte est assurée par l’URSSAF et les OPCO gèrent une partie seulement de la formation continue des salariés.

Ils financent notamment les contrats de professionnalisation et de conversion par alternance et les contrats d’apprentissage ainsi que les actions de formation au bénéfice des salariés des TPE-PME (accompagnement des entreprises de moins de 50 salariés dans le développement des compétences). Ils sont aussi en charge de l’analyse des besoins et l’évolution des certifications professionnelles des branches constitutives de l’OPCO (amplification de la mission d’observatoire prospectif des métiers et des qualifications).

La création de 11 OPCO sont officiellement agréés (arrêté du 29 mars 2019) :

Opco Commerce vente, négoce, commerce de détail, commerce de gros…
Atlas assurances, banques, finances
Santé hospitalisation, établissements médico-sociaux…
AFDAS presse, édition, cinéma, casino, musique, spectacle vivant, sport, tourisme, radio, audiovisuel, télécommunication…
Cohésion sociale centres socio-culturels, animation, insertion, Pôle emploi, régie de quartier, HLM,…
Entreprises de proximité artisanat, professions libérales…
Entreprises et salariés des services à forte intensité de main-d’œuvre chaînes de restaurants, portage salariale, enseignement privé, restauration rapide, activité du déchet, travail temporaire…
OCAPIAT les entreprises et exploitations agricoles, les acteurs du territoire et les entreprises du secteur alimentaire…
OPCO 2i industrie, métallurgie, textile…
Construction bâtiment, travaux publics
Mobilité ferroviaire, maritime, automobile, transport de voyageur, tourisme…

Le nombre de 11 OPCO a été préconisé dans le rapport de mission de René Bagorski et Jean-Marie Marx de 2018 avec comme objectif d’obtenir des filières de économiques cohérentes afin de mutualiser les solutions offertes aux entreprises. Les partenaires sociaux ont négocié au sein des branches sur la base du rapport Bargoski-Marx, sans doute fortement incités par le Ministère du travail. Aussi, le résultat obtenu est très proche des propositions du rapport.

Il y a à l’évidence une réelle cohérence dans les regroupements, ce qui ne veut pas dire que cela a été évident à négocier pour les regroupements les plus hétérogènes. Et puis les relations passées entre certaines branches, parmi les plus petites, ont certainement pu empêcher des regroupements qui auraient pu être plus naturels au regard des activités.

Ainsi on peut s’étonner de voir à l’Atlas, l’OPCO des banques et assurances, les entreprises de l’informatique, de l’ingénierie, des études et du conseil, ou bien les économistes de la construction ou les géomètres., alors que les experts automobiles qui travaillent principalement pour les assurances sont au sein de l’OPCO des entreprises de proximité.

Dans le même genre, l’Afdas comptent les branches des organismes de tourisme et de l’hébergement de plein air qui seraient plus naturellement au sein de l’OPCO de la mobilité.

Les branches du sport et du golf qui se trouvent également à l’Afdas auraient pu être plus naturellement au sein de l’OPVO de la cohésion sociale, dans la mesure où leur activité relève en grande proportion du monde associatif.

On peut ainsi relever quelques cas d’incohérence, ou en tout cas de faible cohérence. Mais cela ne doit pas retirer l’effort remarquable de mise en cohérence qui se traduit par des OPCO très cohérents pour les principales branches. Le problème est que les petites branches qui peuvent se trouver en faible cohérence avec les autres branches de l’OPCO, risquent d’être mal desservies par l’OPCO, d’autant plus mal si les branches sont constituées de TPE-PME et si elles sont elles-mêmes peu organisées avec de faibles moyens consacrés à la question de la formation et une faible représentation au niveau des régions. Il y aura très certainement un besoin de regroupement des petites branches en faible cohérence, de façon à qu’elles puissent mieux se faire entendre dans la gouvernance ou des services de l’OPCO.

Hugues JURICIC, le 2 avril 2019.

Télécharger Liste des branches regroupées par OPCO

Pour que l’agriculture joue son rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique

L’ADEME a publié un document en 2014 « Carbone organique des sols, l’énergie de l’agroécologie, une solution pour le climat » très intéressant qui est relativement passé inaperçu alors que le monde agricole était mobilisé par la préparation des Programmes de Développement Rural dans toutes les régions. Or le PDR qui met en œuvre le FEADER Fonds européen pour l’Agriculture et du Développement Rural, pour 7 ans (il était alors question de la programmation 2014-2020) avait bien pour objectif stratégique de lutter contre le réchauffement climatique induit par les émissions du gaz à effet de serre. Mais l’attention a été focalisée sur la question de la production d’énergie renouvelable et le véritable puit de carbone que représente la biomasse des forêts et des cultures, et surtout celle de sols, a été largement oublié.

Ce document démontre pourtant le rôle majeur de l’écosystème naturel et cultivé dans la captation du carbone. Et les pratiques agricoles et sylvicoles peuvent permettre une plus grande captation du carbone mais aussi, comme cela a été le cas par le passé, peuvent à l’inverse induire une diminution du stock de carbone (déforestation, diminution du taux d’humus dans les sols cultivés, destruction des haies et des bosquets, déprise agricole au profit de l’urbanisation).

Ces questions ont certes été abordées à la marge dans la justification donnée dans certaines MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques). Mais il n’a pas été abordé la question essentielle de la dégradation du taux d’humus dans les sols et de la nécessité impérieuse d’inverser la tendance : pas seulement pour augmenter le stock de carbone mais aussi pour les effets sur la santé des sols, la biodiversité, la résilience des cultures, la réserve utile en eau, la réponse aux engrais….

Pour que la question soit abordée lors de la préparation de la PAC 2021-2027 qui a déjà commencé, et puis au-delà, pour que les professionnels agricoles puissent promouvoir des pratiques agricoles pouvant contribuer massivement à la lutte contre le réchauffement climatique, je propose au lecteur de lire ce document de l’ADEME, dont voici un résumé interprétatif personnel :

Selon l’Ademe, en France, les sols agricoles et forestiers (sur environ 80 % du territoire) séquestrent actuellement 4 à 5 Gt (milliards de tonnes) de carbone (15 à 18 Gt CO2) dont près d’un tiers dans la biomasse (arbres principalement) et plus des deux tiers dans les sols, et toute variation positive ou négative de ce stock influe sur les émissions nationales de gaz à effet de serre (GES), estimées à 0,5 Gt CO2 éq/an (valeur 2011). Le stock de carbone est différent selon l’occupation du sol : 35 tC/ha vigne ; 50 tC/ha vergers et cultures ; 80 tC/ha prairies et forêts.

L’atmosphère contient 829 Gt de carbone dont 240 proviendraient des activités humaines depuis le vdébut de l’ère industrielle (XIIIème siècle). Le flux annuel le plus important est enregistré au niveau des zones industrielles et urbaines avec 7,8 Gt auquel s’ajoute le flux lié au changement d’affectation des sols et à la déforestation pour 1,1 Gt. Ces émissions sont partiellement compensées par le bilan de la photosynthèse et de la respiration des végétaux ainsi que par la dissolution du carbone dans les océans pour 2,6 et 2,3 Gt respectivement. Au final, 4 Gt de carbone s’ajoutent dans l’atmosphère chaque année.

Cet ajout de 4 Gt de carbone pourrait être compensé par une captation de carbone générée par une augmentation de la biomasse de 0,2% : développent de pratiques agricoles visant à augmenter le taux d’humus dans le sol, irrigation pour augmenter les rendements, arrêt de la déforestation et de la mise en culture des prairies, exploitation forestière durable, reforestation des friches et réinstallation des haies, recyclage des déchets verts, végétalisation des espaces urbains…

C’est-à-dire inverser radicalement la tendance actuelle de diminution de la biomasse naturelle et cultivée. Cela aura des effets bénéfiques induits sur la qualité de la vie, sur la production alimentaire (et les rendements agricoles) et même éventuellement sur une diminution de l’aridité des écosystèmes. En effet une augmentation de la biomasse induit à la fois une meilleure captation des eaux de pluies par les sols permettant de mieux résister aux périodes sèches, et en conséquence une augmentation de l’évapotranspiration générant une plus grande nébulosité pouvant abonder les rosées et les pluies.

Le rétablissement puis la préservation des écosystèmes marins sont également des enjeux majeurs pour augmenter la biomasse marine et la captation du carbone par les océans.

Hugues JURICIC, ingénieur agronome
Givry, le 20 mars 2019

Télécharger le présent article. La biomasse naturelle et cultivée joue un rôle majeur dans la captation du carbone et la lutte contre le réchauffement climatique

Télécharger le document de l’ADEME. 7886_sol-carbone-2p-bd

Un document scientifique de référence est le rapport final de l’ESCO Expertise Scientifique Collective pilotée par l’INRA en 2002 Stocker du carbone dans les sols français

Un travail plus récente de l’INRA analyse l’efficience des actions possibles pour réduire les émissions de gaz à effets de serre (2013) Contribution Agriculture Française aux émissions de GES

Pour plus d’information il est également intéressant de voir les travaux du GIS Sol.
Le Groupement d’Intérêt scientifique Sol (GIS Sol) a été créé en France en 2001. Il regroupe l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (MAAF), le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie (MEDDE), l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).

Comment sont dépensés les 31 milliards d’euros de la formation professionnelle continue ? Quelle évolution à prévoir à la suite de la réforme de la FPC inscrite dans la loi Avenir Professionnelle de 2018 ?

Dépenses totales de la formation professionnelle continue

Le « Jaune budgétaire» document qui recueille annuellement les principales données financières et physiques relatives aux actions de formation professionnelle, quels qu’en soient les dispositifs, les financeurs et les bénéficiaires, présente un budget de 22,2 Mds€.


Source : Jaune budgétaire 2018

Il manque les coûts financés par les bénéficiaires (dépenses imputables aux ménages qui sont estimées en 2015 à environ 1,4 Md €), ainsi que les dépenses directes de formation pour les salariés du privé, directement financées par les entreprises en dehors des fonds collectés par les OPCA. En 2014, elles représentaient plus de 6,2 Mds € selon l’analyse faite des déclarations 2483 faite par le CEREQ (2014).

Aussi, en incluant ces dépenses privées (ménages et entreprises), le budget global de la FPC est d’au moins 30,1 Mds €.

On se rapproche ainsi de la dépense globale pour la formation professionnelle et l’apprentissage calculée par la DARES en 2015 pour l’année 2012, correspondant à près de 31,75 Mds €.

Dépense globale par public bénéficiaire (2015)


(*) hors dépenses directes de formation des salariés du secteur privé (environ 6,5 Mds €)

Si l’on rapporte ces dépenses à l’effectif des publics bénéficiaires :

  • Apprentissage : env. 300.000 apprentis (2018)
  • 5,3 Mds€ soit 17 667 € / apprenti / an
  • Emplois salariés du secteur privé : 18,1 millions (2017)
  • 1,1 Mds€ (alternance professionnalisation) + 6,7 Mds€ + 6,5 Mds€ = 14,3 Mds€
    soit 790 € / salarié / an
  • Emplois des fonctions publiques : 5,45 millions (2015)
  • 5,5 Mds€ soit 1000 € / salarié / an
  • Jeunes en insertion et demandeurs d’emploi : 6,2 millions dont 3,4 millions en cat.A (demandeurs d’emploi sans emploi avec actes positifs de recherche d’activité).
  • 1,07 Mds€ + 4,88 Mds€ = 5,95 Mds€ soit 1 753 € / demandeurs emploi (cat. A) / an
Evolution possible de la dépense de formation suite à la réforme

L’évolution de la dépense totale depuis 2006, indique clairement qu’un plafond ait été atteint à partir de 2009. Les dépenses évaluées pour 2018 sont du même ordre de grandeur, sachant qu’il est difficile d’apprécier les dépenses directes des entreprises alors que la collecte des fonds à la formation concerne de moins en moins le plan de formation des entreprises et que la mise en place du DIF puis du CPF a réduit encore les dépenses de formation des salariés qui sont encore peu nombreux à utiliser leurs comptes personnels.
La réforme de la formation inscrite dans la loi Avenir Professionnel de septembre 2018, va impacter l’ensemble de ces dépenses, en modifiant les dispositifs et les modalités de collecte des fonds et de financement.

Les formations pour les demandeurs d’emploi et des jeunes en insertion grâce à la mise en place du PIC Plan d’Investissement dans les Compétences devraient augmenter avec une recherche de cohérence au niveau des régions et des territoires. L’enjeu est de maintenir voire augmenter le budget global au de-là des 4,6 Mds € actuels, sachant que le budget de l’axe compétences du PIC est précisément de 15 Mds € pour 5 ans… ce qui correspond à une augmentation substantielle du financement de l’Etat, auquel il convient d’agréger les financements de Pole Emploi, des Entreprises et surtout des Régions. D’où l’enjeu majeur des accords PIC avec les Régions auxquels sont associés Pole Emploi et France Compétences. En outre, la mise en place du CPF que le demandeur d’emploi pourra mobiliser pour se former durant sa période de chômage devrait également contribuer à augmenter de façon sensible la formation des demandeurs d’emploi.

Les dépenses pour l’alternance (apprentissage et contrats de professionnalisation) devraient être maintenues voire amplifiées si la tendance à la hausse du nombre des apprentis qui est constatée en 2018 se maintient dans les années à venir. Cela dépendra de la capacité des organismes de formation à offrir une modularité des formations et une temporalité plus souple sortant du temps scolaire, de façon qu’à terme, la formation certifiante puisse être appréhendée par tout adulte dans une logique de parcours associant apprentissage, professionnalisation, VAE et CPF. L’enjeu est également de pouvoir associer les modalités de formation, en situation de travail, en auto-formation à distance et en face à face pédagogique. Un enjeu fort est aussi de prendre en compte les pratiques différenciées selon les secteurs économiques dans l’apprentissage d’une part, et selon les territoires d’autre part. Le risque d’une harmonisation des coûts de formation qui serait en pratique un alignement sur un standard, est ne pas prendre en compte les surcoûts induits par la dispersion et l’éloignement des entreprises, et le nécessaire accompagnement des entreprises pour les inciter à embaucher puis gérer l’alternance. La question de la couverture territoriale devrait prise en charge par les Régions, mais encore faut-il qu’une gouvernance de la politique emploi-formation existe avec les territoires et les représentations des secteurs économiques. Les OPCO devront donc avoir une double approche : la fixation d’un coût de formation prenant en compte les spécificités sectorielles au niveau national, et les spécificités territoriales au niveau régional. Pour une grande majorité des secteurs économiques, c’est un tout nouveau métier.

Reste la formation des salariés hors l’alternance.

Pour la formation des salariés des fonctions publiques, on peut raisonnablement penser que l’effort de formation qui est supérieur que dans le secteur privé devrait être maintenu.

En revanche, pour les salariés du secteur privé, il y a plusieurs éléments d’incertitude.

Avec la réforme, l’obligation de former les salariés dans le cadre des plans de formation est encore atténuée et même laissée libre pour les entreprises ayant plus de 50 salariés. Cela ne veut pas dire qu’il y aura moins de formation proposée aux salariés par les employeurs, en dehors des formations obligatoires. On peut même penser que la formation informelle devrait se développer et s’organiser dans les entreprises au fur et à mesure que la e-formation se développe. Mais un maintien à un haut niveau de formation est susceptible de rester cantonner aux entreprises dites apprenantes, aux organisations, activités et emplois les plus propices à l’apprentissage, formel ou informel. Ce sont en général les entreprises les plus grandes et cela concerne précisément les emplois occupés par des salariés parmi les plus qualifiés. Reste alors pour les autres salariés le CPF (compte personnel de formation) qui permet d’accéder à des formations certifiantes. Mais il faudra aux salariés vouloir se former en dehors des heures de travail, ou alors à l’occasion d’un changement de parcours professionnel (choisi dans le cadre d’une professionnalisation, ou subi dans le cas d’un licenciement). Difficile de prédire comment devrait évoluer globalement les dépenses de formation, mais il semble que le niveau des dépenses dépendra de l’évolution de l’offre de formation pour répondre au mieux à la demande émanant des entreprises mais aussi des salariés.

La formation certifiante (Professionnalisation, CPF) devrait augmenter, à la condition toutefois que l’offre de formation évolue pour proposer des modules de formation plus souples, plus courts, mêlant les différentes modalités de formation (présentiel, à distance, en situation de travail…), et permettant des entrées-sorties de formation hors de la temporalité scolaire.

La formation non certifiante, celle qui rentre dans le cadre des plans de formation, peut également bénéficier de la réforme. Mais l’offre de formation devra être capable de répondre à la demande non organisée des entreprises de plus de 50 salariés ainsi qu’à celle des entreprises ayant moins de 50 salariés, demande organisée par les OPCO. Les modalités de formation peuvent être très différentes mais assurément elles devront proposer un mix intégrant l’apprentissage informel et la e-formation. L’enjeu pour les OPCA est de maintenir un niveau de pratiques de formation dans les entreprises ayant moins de 50 salariés, afin de préserver un budget suffisant pour que les entreprises puissent être correctement accompagnées dans leur évolution (on peut penser aux grands besoins de formation dans le numérique ou la transition énergétique). C’est un vrai défi car dans l’allocation budgétaire opérée par France Compétences, il y aura un arbitrage avec les autres dispositifs qui sont fortement mobilisés et appelés à se développer (alternance, professionnalisation et même CPF et CEP), sans parler de la concurrence entre les OPCO qui représentent des secteurs économiques dont la dynamique en matière de formation de leurs salariés est de fait fortement différenciée.

Conclusion

En conclusion, la réforme de la formation professionnelle continue induite par la loi Avenir Professionnelle est donc très impactante, pour tous les acteurs, Etat, Régions, Pole Emploi, Entreprises, OPCO, Organismes de formation certifiantes ou non, et bien entendu, les salariés et les demandeurs d’emploi pour lesquels on doit espérer la possibilité de devenir les acteurs de leur parcours d’apprentissage tout au long de la vie, que cela soit pour améliorer leur employabilité, que pour être tout simplement des citoyens mieux intégrés.

A cet égard, une attention particulière devrait être portée aux salariés et demandeurs d’emploi qui se trouve en difficulté dans leur parcours d’apprentissage tout au long de la vie du fait de lacunes dans les connaissances de base, dans les compétences clés et en littératie (y compris la e-littératie).

Ce qui peut également inquiéter est le fait que tout change en même temps, les modalités de financement, les dispositifs, les modalités de formation et aussi les entreprises et les activités économiques : les acteurs pourront-ils mener cette évolution qui par son ampleur peut s’appeler une révolution ? Mme la Ministre Pénicaud parle bien de « big band ».

On peut craindre que les acteurs les plus fragiles se retrouvent en grande difficulté : les petits organismes de formation, CFA et autres OF, qui sont déjà en situation financière extrême sans avoir les moyens d’investir, les « petits » secteurs économiques qui sont peu structurés et peu présents en région, et souvent aussi avec peu d’implication des entreprises assujetties, les petites entreprises qui n’ont pas de compétences internes RH… En bref, le reproche récurrent fait à la formation professionnelle continue d’être surtout bénéfique aux salariés ayant la meilleure employabilité et la meilleure qualification, risque de perdurer si l’on ne prend pas en compte dans la mise en œuvre de la réforme, les « petits », les territoires isolés, les petites entreprises, les petits secteurs, les petits organismes de formation…

Hugues JURICIC
Givry, le 18 mars 2019

Imprimer : Bilan des réalisations de formation professionnelle continue

Décloisonner et dépasser la lutte contre l’illettrisme pour promouvoir une réussite éducative tout au long de la vie

Développement de la littératie et acquisition des connaissances de bases et des compétences clé

Préambule

Cet article s’appuie pour l’essentiel sur les réflexions menées par Raoul Lucas à l’issue de sa mission menée auprès du Conseil régional de La Réunion visant à élaborer un Plan régional d’action (mission 2017-2018).

A. Introduction générale

Difficultés des apprentissages, faible niveau de formation et de qualification, abandon des études et de la formation, difficultés d’insertion, puis chômage, sont autant de phénomènes qui, se cumulant, vont faire entrer les personnes dans une spirale de marginalisation éducative, culturelle et sociale avec des effets de plus en plus disqualifiants et stigmatisants.

Comme les coûts, démocratiques, économiques, sociaux et culturels de ces phénomènes sont considérables pour les sociétés, les instances internationales, communautaires, gouvernementales, territoriales et locales, avec les divers opérateurs et acteurs concernés, cherchent à élaborer des réponses pour toutes les personnes que les politiques générales perdent au fil de leurs mises en application. Les campagnes mondiales d’alphabétisation, les plans d’Education tout au long de la vie, comme l’invention française de « l’illettrisme », pour nous en tenir à ces exemples, participent de ces dynamiques.

Mais au fil des années et des réponses élaborées, dans des contextes aux difficultés continues et accrues, les effets produits, en regard des ambitions recherchées, ont été scrutés, alimentant de nombreuses prises de position empruntant, souvent en les mélangeant, à divers registres, politique, technique, scientifique, commun, polémique, démagogique, tout en soulevant de multiples questions, certaines nouvelles. Qu’il s’agisse des publics, des modes d’interventions, des contenus, des fonctionnements des actions, des acteurs et de leurs démarches ou des évaluations

La Réunion, et les dispositifs mis en œuvre sur le territoire, n’a pas échappé à cette évolution. C’est ainsi que des travaux ont été initiés et des études lancées. Le présent travail, après celui consacré à la Conférence partagée, s’inscrit dans cette longue série et se nourrit de l’accumulation de savoirs produits à l’intersection de trois grands champs : celui des apprentissages, celui des dispositifs de formation et celui des dynamiques territoriales.

Le travail, que nous proposons, est construit en deux grandes parties. La première traite de la situation actuelle avec comme préoccupation scientifique une mise en perspective des champs d’action avec leurs divers liens et caractéristiques. C’est à partir d’une approche croisée, mobilisant différentes disciplines scientifiques et en combinant plusieurs échelles, afin d’agréger les éléments de connaissance disponibles et utiles à la construction d’une réflexion renouvelée, que cette partie est traitée.

C’est fort de ces éléments mis en perspective, et repensés à la lumière des travaux connus et mobilisés, que nous déroulons ensuite de manière classique la seconde partie pour construire le Plan d’action. Sur un plan méthodologique, chacune de ces parties débouche sur des propositions d’opérationnalisation, des préconisations pour la première et des fiches-­‐action dans le cadre de la seconde. L’ensemble fourni rassemble tous les éléments conceptuels, techniques et opératoires, afin de permettre à l’Institution régionale d’arrêter sa stratégie, son plan d’action et ses modalités d’intervention.

B. L’illettrisme est pluriel et multifactoriel mais est encore trop souvent caricaturée comme de l’analphabétisme dont la cause serait soit l’immigration, soit la défaillance de l’école républicaine

Parce que l’épanouissement personnel, le développement d’une société et la bonne santé d’une démocratie ont à voir avec la capacité d’un individu à maitriser la lecture et l’écriture, contributive de sa liberté de pensée, de parole et d’action, la question de l’alphabétisation, dans sa définition première, nourrit depuis des temps très anciens d’importantes préoccupations politiques, économiques, sociales et culturelles qui ont alimenté une très abondante littérature scientifique, idéologique et technique. Sans remonter dans l’histoire de l’alphabétisation, dans le monde, dans les sociétés occidentales, et plus proches de nous en France, comme à La Réunion, limitons-nous à fixer, de façon synthétique, quelques rappels clés, pour mieux mesurer les évolutions prises et leurs développements afin de disposer d’éclairages utiles aux débats sur le lire et l’écrire qui n’est pas une question résolue aujourd’hui.

B1. L’instruction généralisée ne garantit une maîtrise suffisante ou durable de la lecture et de l’écriture.

Le développement de l’alphabétisation – entendu comme système d’instruction, porté par des politiques volontaristes, dont les orientations, les étapes, les chronologies peuvent être suivies pour chaque pays concerné – a connu en général dans le monde des transformations majeures. Néanmoins des publics importants restent éloignés, dans certains pays, de l’acquisition de la lecture et de l’écriture, faute d’infrastructures, de personnels formés ou de politiques scolaires et de formation peu soutenues pour diverses raisons combinées. Mais de plus, quand dans les pays, le système d’instruction est développé, les écoles existent, et que les enfants peuvent les fréquenter, les apprentissages mis en place ne garantissent pas pour autant une maîtrise suffisante ou durable de la lecture et de l’écriture.

B2. Et pourtant la lecture et l’écriture sont les clés indispensables pour le développement économique et démocratique

Ces situations vont susciter des injonctions plus grandes, à travers de multiples campagnes, plans, programmes et dispositifs portés par des organisations internationales, supranationales et nationales sur la nécessité de faire de l’éducation, comme ensemble de systèmes de formation, une priorité en se fondant principalement sur deux approches. La première c’est que ce que la force d’une société démocratique tient à la capacité généralisée de ses citoyens de s’informer, de questionner et de s’exprimer. La seconde c’est que l’éducation va être surtout de plus en plus pensée comme un levier économique. La diffusion du concept de capital humain va servir de moteur à cette vision où la formation n’est envisagée qu’au regard de l’investissement qu’elle constituerait pour les individus ou pour les pays.

B3. Les difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture trouvent des explications dans une légendaire dégradation de l’école, voire dans un supposé héritage colonial ayant généré un système éducatif inadapté aux spécificités locales.

Dans le même temps, avec les évènements découlant de ces approches qui prennent forme et se mettent en place, une légende nait et des tabous s’installent. La légende est de faire croire que les difficultés actuelles des systèmes de formation initiale, notamment dans les sociétés occidentales, et particulièrement en France, est le produit d’une dégradation de l’école qui ne réussirait plus à faire aujourd’hui ce qu’elle accomplissait parfaitement autrefois. Dans les départements ultramarins, comme cette légende peut difficilement se développer, en raison de l’histoire scolaire des territoires et de leurs singularités, elle laisse plutôt la place à une autre qui tente à renvoyer les difficultés éducatives actuelles à l’héritage colonial, soixante-­‐dix ans après l’avènement de la départementalisation.

Quant aux tabous, longtemps on a cherché à nier l’existence de jeunes publics connaissant des difficultés importantes à maîtriser la lecture et l’écriture alors qu’ils ont fréquenté l’institution scolaire ou qu’ils viennent à peine de la quitter.

B4. L’illettrisme est devenu une cause nationale mais est conceptuellement cantonnée au monde des adultes

L’illettrisme est la réponse française pour tenter de rendre compte et de définir ce phénomène, qui jusqu’à une date très tardive, la décennie 1980, était considéré par les autorités comme extérieure à l’univers scolaire. Ce phénomène s’inscrit durablement désormais au centre des préoccupations politiques et sociales, nourrissant de multiples discours, où l’idéologie, la technique, le pédagogique, le scientifique s’entre-mêlent dans une confusion des plus abondante et débridée.

Différentes approches de ce phénomène peuvent être chronologiquement repérées au fur et à mesure que les discours se développent et se construisent. Ces approches vont retentir sur les présupposés des actions à mettre en œuvre, sur leurs philosophies, sur leurs stratégies, sur leurs dispositifs, sur leurs contenus comme leurs démarches. L’ANLCI, sur le plan institutionnel, comme la Prévention ou la Lutte sur le plan de la démarche sont des exemples parmi d’autres rendant compte de cette dynamique.

B5. La recherche scientifique indique clairement la complexité du phénomène de l’illettrisme et l’impossibilité de trouver une réponse simple à une réalité plurielle et multifactorielle

La communauté scientifique, s’intéressant à ce phénomène, va contribuer à œuvrer à des avancées significatives dans sa définition, sa compréhension, dans ses manifestations et ses développements. D’importants travaux disciplinaires, venant de nombreux domaines, mais également des recherches conduites de façon décloisonnée, par croisement d’approches cumulatives et complémentaires ont été et sont menés, pour mieux cerner ce phénomène trop complexe pour être réduit à une seule dimension et tenter ainsi de fournir des éclairages pertinents.

Tout un travail théorique est entrepris, sur le lexique utilisé, sur les notions sollicitées, sur les catégories mobilisées et notamment en cherchant à les rendre autonomes de celles de l’école. Mais ce travail théorique est tout à la fois à la fois pratique et pragmatique en nous faisant réfléchir sur les modèles utilisés, les dispositifs privilégiés et les dispositions retenues dans les situations d’enseignement et de formation.

B6. La question de la formation tout au long de la vie qui est devenue de plus en plus centrale et gérée par nécessité de plus en plus au niveau des territoires, interroge l’illettrisme car le lire et l’écrire sont fort justement des prérequis pour continuer à apprendre tout au long de la vie.

Les politiques et analyses internationales mettent depuis ces dernières décennies, l’accent sur la formation tout au long de la vie en prenant en compte le fait que le rapport des sociétés humaines au savoir s’est considérablement transformé, notamment avec la révolution technologique. Une terminologie qui englobe dans sa définition l’apprentissage à l’école, et hors de l’école, l’éducation formelle et non-­‐formelle. Née d’abord comme slogan de l’Union européenne, la formation tout au long de la vie devient aujourd’hui l’objet de lois et de politiques concrètes, posant en conséquence la nécessité d’instaurer des passerelles entre les différents dispositifs ainsi que celle de créer des contextes et des environnements apprenants. Une approche qui va s’élaborer, se construire et se développer à partir des notions de territoire et de territorialisation et qu’il nous faut maintenant chercher à comprendre en nous concentrant sur la situation française, et toujours dans un souci synthétique.

C. La formation et l’employabilité des adultes sont des enjeux de formation initiale mais aussi des enjeux de politique territoriale de formation tout au long de la vie.

Comment, en France, pallier les inégalités entre les hommes? A cette grande question, qui n’a cessé de le mobiliser, Condorcet répond qu’il faut œuvrer par l’égalité scolaire et par l’égalité territoriale. On comprend ainsi comment formation, emploi et territoire vont constituer en France les trois domaines traditionnels des interventions publiques. Sans pouvoir suivre ici, pas à pas, la construction, le développement et l’évolution de ces différentes politiques publiques, contentons-­‐ nous d’insister sur le fait qu’elles sont animées d’un souci d’efficacité et d’une volonté de garantir l’égalité des chances. Cette double caractéristique relevée, regardons la seule partie récente de cette histoire, d’abord avec ce qui se passe à la fin de la Seconde Guerre mondiale puis à partir de la décennie 1980.

Depuis la deuxième guerre mondiale, les politiques publiques françaises, se sont pensées et construites dans une dimension émancipatrice, que l’on doit faire remonter à Condorcet, comme autant d’instruments tentant à résorber les inégalités économiques, éducatives, sociales et spatiales. L’affirmation d’une politique industrielle, l’institutionnalisation de l’aménagement du territoire, la mise en place d’une politique scolaire, les lois sur la formation professionnelle, sont autant de mesures, suffisamment connues pour ne pas à être développées (Plan Langevin-­‐Wallon, lois gaulliennes sur l’Ecole, lois sur l’aménagement du territoire dont la DATAR est l’un des outils, loi Debré, loi Delors…) de cette politique. Ces mesures sont également déployées à La Réunion mais selon une temporalité et une configuration propres au territoire et aux logiques qui le structurent. Les ouvrages de l’ARCA, et plus près de nous celui sur le cinquantenaire de l’AFPAR, rendent bien compte de cette dynamique.

Nous sommes alors au niveau national dans une période de forte croissance économique et à La Réunion on assiste alors à des transferts financiers massifs qui vont permettre des transformations importantes mais s’opérant, selon les secteurs et les populations, à un rythme inégal. Dans ce contexte, si nous ne retenons que l’exemple de la politique publique de formation professionnelle, on peut observer plusieurs éléments. D’abord, il y a le fait que cette politique est pensée comme un outil de développement économique. Puis il y a le fait qu’elle est interministérielle et déconcentrée. Ensuite qu’elle est confiée à une administration de mission chargée, auprès des préfets, d’animer le développement de la formation professionnelle en lien avec les projets économiques et sociaux territoriaux. Enfin, quant à l’évaluation de cette politique publique on observe qu’elle est limitée à un contrôle de conformité et d’engagement des budgets alloués.

A partir de la décennie 1980, les réformes décidées en matière de décentralisation, qui peuvent être comprises comme une réponse aux crises économiques et sociales et également à celle de la légitimité socio-­‐politique alors que s’affirme une autre représentation du monde autour de l’idée de marché, vont faire évoluer profondément le mode d’action publique, en renouvelant notamment les termes dans lesquels sont envisagés la place et le rôle des instances locales dans le système français. Mesures de déconcentration vers les autorités académiques et les services de l’Etat en région et transferts de compétence vers les collectivités territoriales se mettent en place. L’Etat conserve une compétence d’exception pour la formation des jeunes sortis du système scolaire sans qualification et pour tous les publics dits « spécifiques ». Mentionnons dans ce cadre la création des Zones d’Education Prioritaire (ZEP) dont l’objectif est de contribuer à corriger les inégalités sociales par un renforcement sélectif de l’éducation, dans les territoires et les milieux sociaux où le taux d’échec est le plus élevé. C’est également au cours de cette période qu’est publié le Rapport Espérandieu, Des illettrés en France (1984) qui va donner naissance au Groupement Permanent de Lutte contre l’illettrisme (GPLI), dont un des premiers présidents est François Bayrou. Une présidence que François Bayrou occupe de 1987 jusqu’en 1993, année où il la quitte pour devenir ministre de l’Education nationale. Sans plus de développement sur ces aspects, relevons que La France adopte la notion d’« illettrisme », que l’Education nationale multiplie initiatives et dispositifs de prise en charge des élèves en difficulté, même si, en cours de scolarisation, ils ne peuvent donc pas être qualifiés d’« illettrés » et enfin la dimension territorialisée des réponses apportées.

Du côté de la formation professionnelle, on peut observer sur cette même période qu’elle perd son caractère interministériel pour devenir un secteur d’intervention de l’Etat, développant des dispositifs dans un contexte marqué par le traitement social du chômage. Ces dispositifs de formation et d’aide à l’emploi, créés à l’échelon national et gérés de façon déconcentrée, forment un ensemble foisonnant. Cette logique de dispositifs est également présente du côté des Conseils Régionaux qui s’organisent pour gérer les compétences qui leur sont transférées et construire leurs outils de programmation et de gestion.

La décennie 1980 marque donc une redistribution des pouvoirs en région, par déconcentration du côté des services de l’Etat, où recteurs et directeurs du Travail notamment récupèrent de leurs administrations centrales des responsabilités, et par décentralisation avec un transfert très partiel des compétences en direction des collectivités régionales. Mais cette redistribution se fait pour l’essentiel dans un cloisonnement de l’intervention publique sur les territoires en matière de formation initiale et continue alors que, sans rentrer dans le détail des compétences, leur imbrication aurait dû conduire les partenaires à travailler ensemble. Il faut attendre la décennie qui suit, avec la loi quinquennale de 1993, pour que cohérence et coordination soient dévolues explicitement aux Conseils régionaux, couvrant tous les dispositifs de formation professionnelle initiale et continue des jeunes. Les Conseils régionaux disposent désormais avec cette loi d’une mission. C’est une mission politique et stratégique. Elle se met en œuvre de façon transversale et permet de construire une action sur le long terme dans une logique d’ensemble, au service des différents publics par la mobilisation du système éducatif dans toutes ses composantes.

Ce processus a plusieurs visées. Il y a d’abord celle de casser la logique sectorielle des interventions publiques. Il y a ensuite celle de relocaliser ces interventions à partir d’une logique territoriale pour mieux prendre en compte les différents espaces géographiques et de représentation. Il y a aussi celle d’inscrire l’action publique dans une démarche de proximité, susceptible de créer les conditions d’une mise en œuvre plus efficace. Mais il y a surtout la nécessité de dépasser les cloisonnements institutionnels et de construire une culture partagée car c’est une pluralité d’acteurs qui sont mis à contribution.

C’est par un ensemble de négociations entre acteurs multiples, produisant du savoir partagé que l’action publique doit désormais se construire avec le Conseil régional légitimé comme instance pivot. Mais si cette évolution est porteuse d’une fécondité incontestable, elle est également caractérisée par une grande complexité tant les partenaires de la Région sont nombreux et de taille et de statut divers. De plus, ils peuvent être partenaires de la Région à un ou plusieurs titres, tout en entretenant souvent eux-­‐mêmes entre eux de multiples liens croisés.

Se posent donc pour les Régions, pour donner la pleine mesure de cette montée en compétences, de nombreuses questions qu’on peut schématiquement rapporter à quatre grands blocs : celui des ressources, celui des outillages, celui de l’expertise et celui de l’ingénierie.

D. En France comme ailleurs dans le monde, l’illettrisme présent des situations diverses et contrastées

Le constat est connu tant sur le plan international, national que local. La capacité de lire, qui est déterminante pour l’accomplissement personnel et l’engagement citoyen, est loin d’être un acquis. Ce constat va susciter une prise de conscience générale. Les organisations internationales, bilatérales, gouvernementales, nationales ou territoriales, vont, entreprenant de nombreux efforts, multiplier les initiatives pour favoriser le développement d’un ensemble de programmes, qui, selon les pays prendront des appellations différentes: « Alphabétisation pour tous », « Lutte contre l’illettrisme » ou encore « Développement de la littératie ». Deux organisations, l’une intervenant au niveau international, l’UNESCO, la seconde se rapportant à la situation française, l’ANLCI, illustrent ces dynamiques.

Dès sa création, après la Seconde Guerre mondiale, l’UNESCO inscrit l’alphabétisation comme axe majeur de ses programmes. De 1976 (Conférence de Persépolis) à 2002 (ONU), avec le lancement de la Décennie pour l’alphabétisation (2003-­‐2012), diverses conférences et manifestations traduisent l’engagement constant de l’organisation internationale pour faire triompher l’alphabétisation universelle.

Du côté français, c’est en 1998 que le gouvernement érige la lutte contre l’illettrisme « priorité nationale » avec la promulgation de la loi du 29 juillet. Cette loi « d’orientation de lutte contre l’exclusion » donne à la lutte contre l’illettrisme une impulsion nouvelle. Ce sont en effet tous les services publics qui sont appelés à contribuer « de manière coordonnée à la lutte contre l’illettrisme dans leurs domaines d’action respectifs ». L’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les institutions de formation, initiale et professionnelle, publiques et privées, les organisations professionnelles et sociales, les associations et les entreprises concourent, chacun pour leur part, à la « lutte contre l’illettrisme » dont les actions, bien que considérées comme prioritaires, peuvent être intégrées à d’autres politiques. Dans cette dynamique, un nouveau Rapport sur l’Illettrisme est remis, 15 ans après celui de Véronique Espérandieu, non plus au Premier ministre Lionel Jospin, mais à Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité et à Nicole Péry, Secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes et à la Formation professionnelle. Le rapport propose de réorienter et de réorganiser le dispositif de Lutte contre l’Illettrisme. C’est ainsi qu’est créée, en 2000, l’ANLCI qui succède au GPLI. L’Agence, qui est voulue comme « un organisme de mission », vise à fédérer et à optimiser les moyens affectés dans la lutte contre l’Illettrisme en venant en appui à l’ensemble des acteurs œuvrant dans ce champ.

Ces exemples, et tous les autres qui pourraient être également mentionnés, attesteraient sans beaucoup de difficultés que, parce que l’éducation est l’un des plus importants enjeux de société, la question de la maîtrise de la lecture est une préoccupation centrale et que de nombreux plans, programmes et dispositifs par le monde, cherchent à la faire avancer. Mais si cela est incontestable, et que si des progrès peuvent être relevés, il n’en demeure pas moins que des constats défavorables sont tout aussi présents comme le démontrent, à l’échelle internationale, les travaux de l’UNESCO analysant les expériences des décennies de programmes en matière d’alphabétisation. De nombreuses autres enquêtes internationales vont dans le même sens. C’est ainsi que dans les pays de l’OCDE, les résultats d’une enquête publiée au début des années 2000, révélant la proportion de personnes en difficulté de lecture, a causé un véritable choc. Au Québec, dans une étude publiée en 2011, la doyenne de la Faculté des Sciences de l’Education de l’UQUAM, estimait qu’à la fin de la décennie 2000, 33% de la population québécoise, étaient en situation d’analphabétisme fonctionnel. C’est à dire que la capacité de lecture de cette population de 2,5 millions d’habitants, se situent en deçà du troisième des cinq niveaux de littératie établis par l’OCDE. Et l’auteur de préciser, que contrairement à une croyance bien ancrée, ces adultes en situation d’analphabétisme fonctionnel ne sont pas majoritairement des immigrants et que près de la moitié d’entre-­‐eux sont professionnellement actifs.

E. Parler de niveau de littératie plutôt que de niveaux d’illettrisme, est non seulement plus positive pour les personnes concernées, mais aussi plus juste et permet d’éviter d’associer systématiquement analphabétisme à illettrisme.

L’OCDE définit la littératie comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ».

L’OCDE définit cinq niveaux de littératie :

Niveau 1 : [le sujet] dénote un niveau de compétences très faible : par exemple, la personne peut être incapable de déterminer correctement la dose d’un médicament à administrer à un enfant d’après le mode d’emploi indiqué sur l’emballage.

Niveau 2 : [le sujet] peut lire uniquement des textes simples, explicites, correspondant à des tâches peu complexes. Bien que faible, ce niveau de compétences est supérieur au niveau 1. Il regroupe des personnes qui savent lire, mais qui obtiennent de faibles résultats aux tests. Elles peuvent avoir acquis des compétences suffisantes pour répondre aux exigences quotidiennes de la littératie mais, à cause de ce faible niveau, il leur est difficile de faire face à de nouvelles exigences, comme l’assimilation de nouvelles aptitudes professionnelles.

Niveau 3 : ce niveau est considéré comme un minimum convenable pour composer avec les exigences de la vie quotidienne et du travail dans une société complexe et évoluée. Il correspond à peu près aux compétences nécessaires pour terminer des études secondaires et entamer des études postsecondaires. Comme les niveaux plus élevés, il exige la capacité d’intégrer plusieurs sources d’information et de résoudre des problèmes plus complexes.

Niveaux 4 et 5 : les répondants font preuve d’une maîtrise supérieure des compétences de traitement de l’information.

Si on se réfère maintenant à la situation française, et que l’on regarde du côté de la formation initiale, un double constat s’impose. Nombreux élèves sont en grande difficulté avant l’entrée en sixième ce qui signifie qu’en huit ou neuf ans de scolarité, l’école n’a pas su les conduire aux objectifs minimaux qui lui sont fixés. Mais plus nombreux encore sont les élèves dont l’échec est constaté au terme de la scolarité obligatoire. Un Rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale, datée de 2013, relevait qu’un élève sur cinq n’a pas acquis les compétences nécessaires pour « affronter les défis de la vie d’adultes » et près d’un élève sur dix n’atteint pas le plus faible niveau en français et/ou en mathématiques aux évaluations internationales. Notons également, toujours selon ce Rapport, que deux élèves sur trois connaissant ces grandes difficultés sont des garçons.

Ces constats vont alimenter une importante littérature cherchant à comprendre pourquoi les résultats escomptés, c’est à dire l’acquisition des compétences en littératie et en numératie ne sont pas obtenus d’autant que nous assistons à des mutations anthropologiques, sociales, économiques et techniques de grande ampleur, où la maîtrise du lire et de l’écrire est fondamentale et doit être entretenue pour faire face aux défis inhérents des sociétés contemporaines. Plutôt que de prétendre fournir une synthèse de toute cette littérature, ce qui demanderait un autre cadre, relevons quelques aspects importants pour clôturer la première partie de ce Rapport, avant d’aborder les préconisations qu’ils nous suggèrent :

1° Les difficultés de lire et d’écrire concernent aussi bien des populations de pays émergents que celles des pays développés et ces dernières ne sont pas que des immigrants.

2° Contrairement à une croyance bien ancrée ces difficultés ne concernent pas que des publics qui n’ont pas eu accès à l’institution scolaire ou qui l’auraient peu fréquentée. En conséquence, croire que l’évolution démographique amènera mécaniquement le développement de littératie est illusoire.

3° Les causes de ces difficultés sont multifactorielles et les publics concernés par ces difficultés n’ont pas de profil-­‐type. Aussi, rechercher pour la grande diversité des publics en difficulté une réponse standard est vain. Il n’y a pas de panacée en matière d’éducation.

4° L’appropriation des savoirs est un processus complexe où tout n’est pas qu’affaire de méthodes qui, de surcroît, seraient uniques. Pas plus qu’il n’y aurait de sens à opposer des méthodes pédagogiques.

5° L’école n’est pas le seul lieu d’apprentissage. Elle ne saurait être tenue comme unique institution responsable de la faiblesse en littératie des publics qu’elle a accueillis.

6° Dans une société forcée d’innover, la soif d’apprendre devient une ressource vitale et apprendre n’est plus la seule affaire de l’individu.

F. Enjeux stratégiques pour une politique territoriale de développement de la littératie

Enjeu 1 : avoir comme priorité stratégique l’apprentissage de connaissances et de compétences clé, quel que soit son âge ou sa situation

Faire de la réussite éducative émancipatrice tout au long de la vie sur un territoire apprenant la priorité stratégique de l’Institution régionale pour sortir d’une approche stéréotypée, compartimentée et sectorisée des publics (élèves, jeunes et adultes) en difficulté de socle de connaissance et de compétence clé pour prendre en compte les mutations actuelles liant le social, le culturel, l’économique, le technologique et la construction identitaire.

Enjeu 2 : adopter une approche globale décompartimentée et désectorisée

Adopter une approche globale du système de formation entre les grandes voies de formation (initiale, sous statut scolaire, alternée, continue) ainsi qu’entre les différents niveaux de formation, visant à toutes les strates la réussite éducative, dans une dynamique territoriale à partir du rôle pivot dévolu au Conseil régional.

Enjeu 3 : s’outiller et s’organiser pour mieux connaître les besoins

Revoir et réorganiser la recherche, la fourniture la mobilisation de données (quantitatives et qualitative) et d’informations statistiques pour aider la capacité territoriale, tous acteurs confondus, à intervenir de manière efficiente sur ses domaines de compétence.

Enjeu 4 : capitaliser et mutualiser les pratiques expérimentées par les acteurs du développement de la littératie et des compétences clé au niveau du territoire

Construire une fonction d’expertise hors de l’institution régionale et hors des organismes purement scientifiques dans une triple mission : mobiliser la connaissance produite, par la recherche comme par les praticiens, participer à l’élaboration renouvelée des données et des catégories d’analyse, accompagner le débat public.