Évolution des effectifs en alternance et difficultés de recrutement

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L’augmentation récente des effectifs de l’alternance est à la fois une tendance structurelle depuis 2015 et une tendance conjoncturelle depuis 2020 comme effet du Plan de relance.
De 464 000 nouveaux contrats en alternance en 2014, leur nombre est passé à près de 855 000 nouveaux contrats en 2021, soit une augmentation de +84% en 7 ans, et +31% pour la seule dernière année (le seul effet Plan de relance correspond à +25%).
L’augmentation de l’effectif des alternants en fin d’année est moindre (seulement +65%) car la durée moyenne des contrats en apprentissage a tendance à se raccourcir, le nombre de contrats durant 1 an ou moins augmentant fortement, ce qui correspond à une augmentation de l’apprentissage contractualisé pour la dernière année d’étude.
Les remontées du terrain indiquent que la progression s’est poursuivie en 2022 en écho à la prolongation des aides du Plan de relance.


Source : Dares, Système d’Information sur l’Apprentissage

Il convient de distinguer dans l’alternance, les contrats en apprentissage et les contrats professionnels en alternance. Bien que tendant à se rapprocher, ils sont relativement différents, tant dans la durée moyenne des contrats que dans le type de certifications obtenues. En particulier l’apprentissage est pour l’essentiel mobilisé pour obtenir un diplôme alors que le contrat de professionnalisation concerne plutôt les titres et certificats de qualification professionnelle. L’apprentissage comporte une limite d’âge qui est de 26 ans, passée récemment à 29 ans, alors que les contras pro ne comportent pas de limite d’âge même si en pratique les embauches en alternance concernent très rarement des demandeurs d’emploi ayant plus de 40 ans.
Le montant de l’aide prévue dans le plan de relance est également différent, plus avantageux pour l’apprentissage que pour le contrat pro.
Ces différences expliquent sans doute pourquoi l’évolution de l’apprentissage et celle des contrats pros sont différentes : alors que l’apprentissage a augmenté de +165%, un quasi triplement du nombre de nouveaux contrats en 7 ans, les contrats pros ont diminué de -32% sur la même période. C’est surtout depuis 2018 que les contrats pros ont en fait chuté, passant de près de 235 000 contrats en 2018 à près de 113 000 en 2020, soit une diminution de -52%,  soit une division par 2 en 2 ans, principalement entre 2019 et 2020. En 2021, l’effectif remonte un peu. Le fait que la baisse ait démarré en 2019 et qu’elle semble s’arrêter en 2021 indique que la cause ne provient pas de la seule différence du montant de l’aide. Il apparaît clairement que le Plan de relance amplifie le phénomène, mais que l’on a bien une tendance structurelle pour un intérêt accru des entreprises et des jeunes pour l’apprentissage et un relatif désintérêt pour le contrat pro.


Source : Dares, Système d’Information sur l’Apprentissage

En regardant le niveau des qualifications visées par l’alternance, on constate que les nouveaux contrats visant les diplômes du supérieur sont très forte augmentation, passant de 249 000 en 2019 à 462 000 en 2021, soit +85% en 3 ans alors que l’augmentation des niveaux bac et infra n’est que de +27%.
Ainsi clairement l’augmentation de l’alternance, dont celle qui est imputable au plan de relance, concerne d’une part l’apprentissage et d’autre part les diplômes du supérieur, et tout particulièrement la dernière année d’études. Les remontées du terrain indiquent bien qu’il s’agit d’une transformation du stage de fin d’études, dit stage de professionnalisation et qui doit durer a minima 6 mois pour les diplômes professionnels, en contrat d’apprentissage. Il s’agit ni plus ni moins qu’une pratique de prérecrutement, d’autant plus précieuse pour les entreprises que les difficultés de recrutement se sont généralisées à tous les métiers et tous les postes. Pour résumer, les jeunes sortants des formations professionnelles du supérieur (du technicien supérieur à l’ingénieur dans tous les domaines techniques, commerciaux ou administratifs) sont recherchés par les entreprises pour renouveler leur personnel, cela d’autant plus que le turn-over des jeunes cadres a singulièrement augmenté ces dernières années.
Et a contrario la baisse des effectifs de contrat pro qui concernent plus les premiers niveaux de qualification correspond à des difficultés de recrutement dans le cadre de l’insertion d’une part, mais aussi à une certaine inadéquation de l’offre de formations en alternance pour former les jeunes ou moins jeunes embauchés comme ouvrier ou technicien des 1ers niveaux de qualification. La formation non qualifiante, le plus souvent informelle dans les plus petites entreprises, sera préférée en dépit du financement de l’alternance. Les remontées de terrain indiquent bien les difficultés à remplir les actions de formation proposées par Pole Emploi dans le cadre de dispositif où les entreprises se sont engagées à recruter, éventuellement avec de l’alternance à la clé. Les entreprises d’intérim sollicitées dans le processus ou les groupements d’employeurs d’insertion et de qualification (GEIQ) rencontrent les mêmes difficultés.
Au-delà de l’offre de formation de qualification professionnelle, il s’agit ici de la très grave problématique de recrutement dans les secteurs peu attractifs (multiples facteurs sont en jeu : localisation, conditions de travail, rémunération et qualité de vie, image des métiers, des activités, des entreprises…).


Source : Dares, Système d’Information sur l’Apprentissage

L’évolution de l’alternance entre 2021 et 2018 est ainsi très différente selon les secteurs.


Le Tertiaire plutôt attractif explose avec une augmentation allant jusqu’à +245% alors que les secteurs primaires et secondaires, la construction et l’hébergement-restauration ont une augmentation plus modérée d’environ +60% et même seulement +31% pour l’hébergement-restauration.
En conclusion si l’apprentissage a été de plus en plus mobilisé comme une pratique RH de recrutement, il n’a pas résolu les problèmes de recrutement et d’attractivité. Les secteurs les plus attractifs arrivent à mieux utiliser l’apprentissage que les autres et les dispositifs d’insertion aux emplois les moins qualifiés qui sont ciblés vers les secteurs les plus en peine de recrutement, peinent à déboucher sur l’embauche en alternance.
Pour éclairer cette analyse, en regardant l’évolution du nombre de projets de recrutement de façon globale, on peut bien voir une corrélation entre le développement de l’alternance (+350 000 contrats supplémentaires entre 2017 et 2021) et l’augmentation du besoin de main-d’œuvre. Les projets de recrutements passent ainsi de près de 2 000 000 à 3 000 000 de 2017 à 2022.


Source : Pole Emploi, enquête BMO Besoin de main-d’œuvre

Notons que la forte augmentation du nombre de contrats d’apprentissage a correspondu avec un ralentissement des recrutements dû à la Covid. En cela le Plan de relance dans son volet « 1 jeune 1 solution » a joué pleinement son rôle pour sauvegarder le flot d’embauche des jeunes, en particulier par l’apprentissage et même amplifier la tendance à hausse de l’apprentissage. En revanche, pour ce qui est du fort développement de l’apprentissage en remplacement du stage de fin d’études des formations du supérieur, on peut craindre qu’il y ait eu un effet d’opportunité, privilégiant l’embauche des jeunes diplômes avec un court apprentissage au détriment des jeunes passant par un stage de fin d’études.


Source : Pole Emploi, enquête BMO Besoin de main-d’œuvre

La relative déconnexion entre alternance et difficulté de recrutement apparaît clairement en constatant que le secteur de la construction qui a une forte pratique de l’alternance sous toutes ses formes depuis de nombreuses années, notamment pour les premiers niveaux de qualifications (l’apprentissage et le compagnonnage ont démarré dans le secteur du bâtiment). Or le secteur de la construction a eu une augmentation de l’alternance parmi les plus faibles (+59%) contre alors que les projets de recrutement augmentaient très fortement (+250 %).


Source : Pole Emploi, enquête BMO Besoin de main-d’œuvre

L’évolution des difficultés de recrutement correspond à l’augmentation des besoins de main-d’œuvre. C’est pourquoi le moindre besoin de main-d’œuvre s’est traduit en 2021 par une diminution des difficultés de recrutement. Néanmoins, la Covid n’a été qu’un répit, car une fois l’économie relancée, les projets de recrutements sont repartis à la hausse, d’autant plus hauts que les difficultés de recrutement augmentent en conséquence.
Et l’alternance ne semble pas apporter une solution à ces difficultés qui deviennent très dommageables pour le développement voire la survie des entreprises dans les secteurs les plus concernés, ceux qui sont finalement les moins attractifs.

Le développement de l’alternance est finalement fortement lié à la capacité des entreprises à recruter, à trouver des candidats à l’embauche qu’ils soient qualifiés ou non. Et ce problème d’attractivité sur certains métiers, en particulier les métiers de premiers niveaux de qualification des secteurs primaires, secondaires, de la construction, de l’hébergement-restauration ou de la santé et action sociale. Ce sont précisément les métiers pour lesquelles il existe des formations professionnelles infra bas. Et ces formations peinent à attirer suffisamment de jeunes avant le bac, tant le tropisme social est de poursuivre les études générales, pour aller le plus possible, obtenir le niveau de qualification le plus élevé, et par conséquent ne plus intéressé les métiers d’ouvriers et d’employés des secteurs où les difficultés de recrutement atteignent des niveaux alarmants. Il demeure que l’apprentissage est bien la voie royale pour les filières professionnelles avec un taux d’insertion à l’emploi et de poursuite d’études près de 100%. Une piste sérieuse de la formation professionnelle des niveaux CAP, BP et Bac Pro est très certainement de rendre quasi obligatoire que la dernière année se fasse en apprentissage, les premières années en voie scolaire devant permettre de préparer à l’emploi, de faire découvrir les métiers, mais aussi les entreprises. Cela signifie d’ailleurs que les entreprises des secteurs avec les difficultés de recrutement les plus grandes, gagnent à se rapprocher des lycées professionnels et même des collèges pour ouvrir leur porte pour des stages découverte pour faire connaître l’entreprise, l’activité et les métiers aux jeunes, et éventuellement envie d’y travailler.
Il demeure qu’il est possible pour les entreprises peuvent embaucher des demandeurs d’emploi en reconversion ou en insertion ou encore des immigrés, mais alors le recours à l’alternance ne semble pas être très pertinent. Un assouplissement et une adaptation des modalités de formation sont sans doute nécessaires pour être capables de répondre à un besoin de professionnalisation fortement personnalisé, tant du fait de l’hétérogénéité des publics que de la diversité des situations de travail.
Ainsi pour développer le recours à l’alternance, il apparaît nécessaire d’améliorer l’attractivité ainsi que l’accueil pus l’intégration des jeunes dans les entreprises. Et cela devient particulièrement difficile pour les plus petites entreprises qui se retrouvent en difficulté économique avec un manque de moyens humains et financiers pour précisément investir dans la gestion des ressources humaines et des recrutements.
C’est pourquoi le développement de l’alternance, apprentissage et contrat pro, est en question, surtout pour les secteurs ayant les plus grandes difficultés de recrutement.
Sans un accompagnement fort des entreprises de ces secteurs pour recourir à l’alternance, sans une adaptation des modalités de formation pour mieux s’adapter aux spécificités et à la diversité des publics et des situations, sans une mobilisation de tous les acteurs de l’emploi-formation-insertion pour améliorer le sourcing des entreprises comme des filières de formation professionnelle (aide aux transports, solution d’hébergement, découverte des métiers et des entreprises…), le danger est fort que le développement de l’alternance se fasse au profit des secteurs et des métiers qui ont moins de difficultés de recrutement.
Ce qui est certain est que le développement de l’alternance de ces deux dernières années a moins concerné les secteurs ayant les plus grandes difficultés de recrutement, et que dans les années à venir, si ces difficultés ne sont pas réduites, on peut craindre un recul de l’alternance, de l’apprentissage comme des formations professionnelles des filières. Le processus enclenché est extrêmement préoccupant.
Et sans évoquer les grands besoins d’acquisition de compétences des entreprises pour mener leur transition énergétique et environnementale…

Le 15 octobre 2022, Hugues JURICIC
h.juricic@outlook.fr