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Évolution des effectifs en alternance et difficultés de recrutement

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L’augmentation récente des effectifs de l’alternance est à la fois une tendance structurelle depuis 2015 et une tendance conjoncturelle depuis 2020 comme effet du Plan de relance.
De 464 000 nouveaux contrats en alternance en 2014, leur nombre est passé à près de 855 000 nouveaux contrats en 2021, soit une augmentation de +84% en 7 ans, et +31% pour la seule dernière année (le seul effet Plan de relance correspond à +25%).
L’augmentation de l’effectif des alternants en fin d’année est moindre (seulement +65%) car la durée moyenne des contrats en apprentissage a tendance à se raccourcir, le nombre de contrats durant 1 an ou moins augmentant fortement, ce qui correspond à une augmentation de l’apprentissage contractualisé pour la dernière année d’étude.
Les remontées du terrain indiquent que la progression s’est poursuivie en 2022 en écho à la prolongation des aides du Plan de relance.


Source : Dares, Système d’Information sur l’Apprentissage

Il convient de distinguer dans l’alternance, les contrats en apprentissage et les contrats professionnels en alternance. Bien que tendant à se rapprocher, ils sont relativement différents, tant dans la durée moyenne des contrats que dans le type de certifications obtenues. En particulier l’apprentissage est pour l’essentiel mobilisé pour obtenir un diplôme alors que le contrat de professionnalisation concerne plutôt les titres et certificats de qualification professionnelle. L’apprentissage comporte une limite d’âge qui est de 26 ans, passée récemment à 29 ans, alors que les contras pro ne comportent pas de limite d’âge même si en pratique les embauches en alternance concernent très rarement des demandeurs d’emploi ayant plus de 40 ans.
Le montant de l’aide prévue dans le plan de relance est également différent, plus avantageux pour l’apprentissage que pour le contrat pro.
Ces différences expliquent sans doute pourquoi l’évolution de l’apprentissage et celle des contrats pros sont différentes : alors que l’apprentissage a augmenté de +165%, un quasi triplement du nombre de nouveaux contrats en 7 ans, les contrats pros ont diminué de -32% sur la même période. C’est surtout depuis 2018 que les contrats pros ont en fait chuté, passant de près de 235 000 contrats en 2018 à près de 113 000 en 2020, soit une diminution de -52%,  soit une division par 2 en 2 ans, principalement entre 2019 et 2020. En 2021, l’effectif remonte un peu. Le fait que la baisse ait démarré en 2019 et qu’elle semble s’arrêter en 2021 indique que la cause ne provient pas de la seule différence du montant de l’aide. Il apparaît clairement que le Plan de relance amplifie le phénomène, mais que l’on a bien une tendance structurelle pour un intérêt accru des entreprises et des jeunes pour l’apprentissage et un relatif désintérêt pour le contrat pro.


Source : Dares, Système d’Information sur l’Apprentissage

En regardant le niveau des qualifications visées par l’alternance, on constate que les nouveaux contrats visant les diplômes du supérieur sont très forte augmentation, passant de 249 000 en 2019 à 462 000 en 2021, soit +85% en 3 ans alors que l’augmentation des niveaux bac et infra n’est que de +27%.
Ainsi clairement l’augmentation de l’alternance, dont celle qui est imputable au plan de relance, concerne d’une part l’apprentissage et d’autre part les diplômes du supérieur, et tout particulièrement la dernière année d’études. Les remontées du terrain indiquent bien qu’il s’agit d’une transformation du stage de fin d’études, dit stage de professionnalisation et qui doit durer a minima 6 mois pour les diplômes professionnels, en contrat d’apprentissage. Il s’agit ni plus ni moins qu’une pratique de prérecrutement, d’autant plus précieuse pour les entreprises que les difficultés de recrutement se sont généralisées à tous les métiers et tous les postes. Pour résumer, les jeunes sortants des formations professionnelles du supérieur (du technicien supérieur à l’ingénieur dans tous les domaines techniques, commerciaux ou administratifs) sont recherchés par les entreprises pour renouveler leur personnel, cela d’autant plus que le turn-over des jeunes cadres a singulièrement augmenté ces dernières années.
Et a contrario la baisse des effectifs de contrat pro qui concernent plus les premiers niveaux de qualification correspond à des difficultés de recrutement dans le cadre de l’insertion d’une part, mais aussi à une certaine inadéquation de l’offre de formations en alternance pour former les jeunes ou moins jeunes embauchés comme ouvrier ou technicien des 1ers niveaux de qualification. La formation non qualifiante, le plus souvent informelle dans les plus petites entreprises, sera préférée en dépit du financement de l’alternance. Les remontées de terrain indiquent bien les difficultés à remplir les actions de formation proposées par Pole Emploi dans le cadre de dispositif où les entreprises se sont engagées à recruter, éventuellement avec de l’alternance à la clé. Les entreprises d’intérim sollicitées dans le processus ou les groupements d’employeurs d’insertion et de qualification (GEIQ) rencontrent les mêmes difficultés.
Au-delà de l’offre de formation de qualification professionnelle, il s’agit ici de la très grave problématique de recrutement dans les secteurs peu attractifs (multiples facteurs sont en jeu : localisation, conditions de travail, rémunération et qualité de vie, image des métiers, des activités, des entreprises…).


Source : Dares, Système d’Information sur l’Apprentissage

L’évolution de l’alternance entre 2021 et 2018 est ainsi très différente selon les secteurs.


Le Tertiaire plutôt attractif explose avec une augmentation allant jusqu’à +245% alors que les secteurs primaires et secondaires, la construction et l’hébergement-restauration ont une augmentation plus modérée d’environ +60% et même seulement +31% pour l’hébergement-restauration.
En conclusion si l’apprentissage a été de plus en plus mobilisé comme une pratique RH de recrutement, il n’a pas résolu les problèmes de recrutement et d’attractivité. Les secteurs les plus attractifs arrivent à mieux utiliser l’apprentissage que les autres et les dispositifs d’insertion aux emplois les moins qualifiés qui sont ciblés vers les secteurs les plus en peine de recrutement, peinent à déboucher sur l’embauche en alternance.
Pour éclairer cette analyse, en regardant l’évolution du nombre de projets de recrutement de façon globale, on peut bien voir une corrélation entre le développement de l’alternance (+350 000 contrats supplémentaires entre 2017 et 2021) et l’augmentation du besoin de main-d’œuvre. Les projets de recrutements passent ainsi de près de 2 000 000 à 3 000 000 de 2017 à 2022.


Source : Pole Emploi, enquête BMO Besoin de main-d’œuvre

Notons que la forte augmentation du nombre de contrats d’apprentissage a correspondu avec un ralentissement des recrutements dû à la Covid. En cela le Plan de relance dans son volet « 1 jeune 1 solution » a joué pleinement son rôle pour sauvegarder le flot d’embauche des jeunes, en particulier par l’apprentissage et même amplifier la tendance à hausse de l’apprentissage. En revanche, pour ce qui est du fort développement de l’apprentissage en remplacement du stage de fin d’études des formations du supérieur, on peut craindre qu’il y ait eu un effet d’opportunité, privilégiant l’embauche des jeunes diplômes avec un court apprentissage au détriment des jeunes passant par un stage de fin d’études.


Source : Pole Emploi, enquête BMO Besoin de main-d’œuvre

La relative déconnexion entre alternance et difficulté de recrutement apparaît clairement en constatant que le secteur de la construction qui a une forte pratique de l’alternance sous toutes ses formes depuis de nombreuses années, notamment pour les premiers niveaux de qualifications (l’apprentissage et le compagnonnage ont démarré dans le secteur du bâtiment). Or le secteur de la construction a eu une augmentation de l’alternance parmi les plus faibles (+59%) contre alors que les projets de recrutement augmentaient très fortement (+250 %).


Source : Pole Emploi, enquête BMO Besoin de main-d’œuvre

L’évolution des difficultés de recrutement correspond à l’augmentation des besoins de main-d’œuvre. C’est pourquoi le moindre besoin de main-d’œuvre s’est traduit en 2021 par une diminution des difficultés de recrutement. Néanmoins, la Covid n’a été qu’un répit, car une fois l’économie relancée, les projets de recrutements sont repartis à la hausse, d’autant plus hauts que les difficultés de recrutement augmentent en conséquence.
Et l’alternance ne semble pas apporter une solution à ces difficultés qui deviennent très dommageables pour le développement voire la survie des entreprises dans les secteurs les plus concernés, ceux qui sont finalement les moins attractifs.

Le développement de l’alternance est finalement fortement lié à la capacité des entreprises à recruter, à trouver des candidats à l’embauche qu’ils soient qualifiés ou non. Et ce problème d’attractivité sur certains métiers, en particulier les métiers de premiers niveaux de qualification des secteurs primaires, secondaires, de la construction, de l’hébergement-restauration ou de la santé et action sociale. Ce sont précisément les métiers pour lesquelles il existe des formations professionnelles infra bas. Et ces formations peinent à attirer suffisamment de jeunes avant le bac, tant le tropisme social est de poursuivre les études générales, pour aller le plus possible, obtenir le niveau de qualification le plus élevé, et par conséquent ne plus intéressé les métiers d’ouvriers et d’employés des secteurs où les difficultés de recrutement atteignent des niveaux alarmants. Il demeure que l’apprentissage est bien la voie royale pour les filières professionnelles avec un taux d’insertion à l’emploi et de poursuite d’études près de 100%. Une piste sérieuse de la formation professionnelle des niveaux CAP, BP et Bac Pro est très certainement de rendre quasi obligatoire que la dernière année se fasse en apprentissage, les premières années en voie scolaire devant permettre de préparer à l’emploi, de faire découvrir les métiers, mais aussi les entreprises. Cela signifie d’ailleurs que les entreprises des secteurs avec les difficultés de recrutement les plus grandes, gagnent à se rapprocher des lycées professionnels et même des collèges pour ouvrir leur porte pour des stages découverte pour faire connaître l’entreprise, l’activité et les métiers aux jeunes, et éventuellement envie d’y travailler.
Il demeure qu’il est possible pour les entreprises peuvent embaucher des demandeurs d’emploi en reconversion ou en insertion ou encore des immigrés, mais alors le recours à l’alternance ne semble pas être très pertinent. Un assouplissement et une adaptation des modalités de formation sont sans doute nécessaires pour être capables de répondre à un besoin de professionnalisation fortement personnalisé, tant du fait de l’hétérogénéité des publics que de la diversité des situations de travail.
Ainsi pour développer le recours à l’alternance, il apparaît nécessaire d’améliorer l’attractivité ainsi que l’accueil pus l’intégration des jeunes dans les entreprises. Et cela devient particulièrement difficile pour les plus petites entreprises qui se retrouvent en difficulté économique avec un manque de moyens humains et financiers pour précisément investir dans la gestion des ressources humaines et des recrutements.
C’est pourquoi le développement de l’alternance, apprentissage et contrat pro, est en question, surtout pour les secteurs ayant les plus grandes difficultés de recrutement.
Sans un accompagnement fort des entreprises de ces secteurs pour recourir à l’alternance, sans une adaptation des modalités de formation pour mieux s’adapter aux spécificités et à la diversité des publics et des situations, sans une mobilisation de tous les acteurs de l’emploi-formation-insertion pour améliorer le sourcing des entreprises comme des filières de formation professionnelle (aide aux transports, solution d’hébergement, découverte des métiers et des entreprises…), le danger est fort que le développement de l’alternance se fasse au profit des secteurs et des métiers qui ont moins de difficultés de recrutement.
Ce qui est certain est que le développement de l’alternance de ces deux dernières années a moins concerné les secteurs ayant les plus grandes difficultés de recrutement, et que dans les années à venir, si ces difficultés ne sont pas réduites, on peut craindre un recul de l’alternance, de l’apprentissage comme des formations professionnelles des filières. Le processus enclenché est extrêmement préoccupant.
Et sans évoquer les grands besoins d’acquisition de compétences des entreprises pour mener leur transition énergétique et environnementale…

Le 15 octobre 2022, Hugues JURICIC
h.juricic@outlook.fr

Réforme de la retraite et chômage

Quel effet peut avoir l’allongement de l’âge de départ à la retraite sur le chômage des seniors ?

Télécharger : Évolution du chômage et allongement de l’âge de départ à la retraite

L’analyse des séries longues du taux de chômage peut nous donner une réponse. Mais pour ce faire, il est nécessaire de comprendre quelle est la relation entre le chômage et le niveau d’activité de la population, et comment cela évolue. Autrement dit, il s’agit de voir si l’augmentation de la population active qui serait due au départ à la retraite plus tardif va nécessairement se traduire par une augmentation du chômage des travailleurs les plus âgés.

Évolution du taux d’activité différent pour les hommes et pour les femmes

Tout d’abord précisons la définition de population active : une personne active a un emploi (déclaré), salarié ou non salarié, ou est au chômage, à la recherche d’un emploi. Toute la population en âge de travailler n’est pas active et ce taux d’activité évolue.
Ainsi le taux d’activité de la population en âge de travailler (plus de 15 ans) évolue et est différent pour les femmes ou les hommes.


Source : Insee, enquête Emploi

De 83,6% en 1975, le taux d’activité passe à 75,3% en 2019 pour les hommes, une évolution à la baisse sur le long terme, principalement due à l’entrée dans le monde du travail qui se fait de plus en plus tard du fait de l’allongement des études concurremment à une difficulté accrue pour les jeunes peu qualifiés pour trouver un premier emploi.
Pour les femmes, en revanche l’évolution est à la hausse, le taux d’activité passant de 52,7% en 1975 à 68,2% en 2019. En dépit du fait que l’entrée plus tardif dans le monde du travail a eu le même effet à la baisse pour les femmes que pour les hommes, l’activité des femmes a globalement augmenté, et cela correspond à un changement de la place des femmes dans la société où elles sont conduites à avoir un emploi comme les hommes. Cela conduit ainsi à avoir un taux d’activité qui tend à être similaire pour les hommes et les femmes.
Notons que l’on peut observer l’effet de l’avancement de l’âge de la retraite à 60 ans décidé en 1981, avec une baisse un peu accentuée du taux d’activité qui passe de 82,9% en 1980 à 78,4% en 1984, soit une baisse de près de 1% par an contre une baisse de 0,15% toutes les années suivantes.
L’effet se ressent aussi pour les femmes dont le taux d’activité est resté constant entre 1980 et 1984, alors que la hausse est relativement constante à +0,35% toutes les années suivantes.
L’effet est évidemment plus fort pour les hommes car le taux d’activité de la classe d’âge 60-65 ans des femmes étaient beaucoup plus faible que celui des hommes.

Évolution du taux d’activité et de chômage des jeunes de 15-24 ans

Un focus sur la classe d’âge 15-24 ans montre très nettement la forte diminution du taux d’activité de la classe d’âge 15-24 ans entre 1982 et 1997, dont la cause principale est due à l’allongement de la durée des études qui correspond à une entrée plus tardive dans la vie active. On constate une légère remontée du taux d’activité des jeunes après 1997 jusqu’en 2009 qui correspond à une légère amélioration de l’emploi qui se traduit même par une même légère baisse du taux de chômage durant cette période pour remonter après, à un niveau élevé jusqu’en 2017. Cette remontée du chômage des jeunes peut expliquer la légère diminution du taux d’activité entre 2009 et 2017, les difficultés pour trouver un premier emploi, tout particulièrement pour les bas niveaux de qualification, pouvant conduite à prolonger les études, voire à reprendre les études.


Source : Insee, enquête Emploi

Le taux de chômage moyen de l’ensemble des actifs et celui de la classe 15-24 ans n’évoluent pas de façon identique. L’évolution du taux d’activité peut jouer un rôle amplificateur ou au contraire atténuateur. Ainsi entre 1984 et 1990, le taux de chômage moyen tend à augmenter alors qu’il diminue pour les 15-24 ans, du fait même de la forte diminution du taux d’activité des jeunes. En revanche les années suivantes l’évolution du chômage moyen est amplifiée pour les 15-24 ans, à la hausse ou à la baisse car le taux d’activité est devenu relativement stable.

Évolution du taux d’activité et de chômage de l’ensemble de la population

Revenons à l’analyse de l’évolution du taux d’activité et du taux de chômage en restreignant la période d’analyse entre 2010 et 2021, dans 1er temps pour la population dans son ensemble puis en focalisant sur la classe d’âge 60-64 ans pour tenter d’entrevoir l’effet d’une augmentation du taux d’activité due au recul de l’âge de la retraite.
Tout d’abord une très légère augmentation de la population en âge de travailler (15 ans et plus) jusqu’en 2019 et une légère diminution depuis.
Le taux d’activité continue à baisser depuis 2010, passant de 56,4% à 55,6%, la population active passant de 29 et 29,5 millions de personnes du fait de l’augmentation démographique.
Et depuis 2010, le volume des emplois (salariés et non-salariés) est plutôt stable, avec une légère augmentation passant de 26,3 millions à 27,3 millions en 10 ans. En conséquence le taux de chômage diminue, passant de 9,2% en 2010 et même 10,3% en 2012 pour passer à 7,5% en 2021.


Source : Insee, enquête Emploi


Source : Insee, enquête Emploi

Depuis 2010, il n’apparaît plus avoir d’effet sensible de l’allongement de la durée des études ou de l’emploi accru des femmes qui avaient été des facteurs forts de l’évolution du taux d’activité. L’effet du report de l’âge de la retraite ainsi que de la durée de cotisations est peut-être visible dans le fait que la population active demeure constante alors que la population en âge de travailler diminue, ce qui induit une légère augmentation du taux d’activité.

Évolution du taux d’activité et de chômage de la classe d’âge 60-64 ans


Source : Insee, enquête Emploi

Le taux d’activité des plus de 60 ans après avoir structurellement baissé depuis la fin des années 60 pour atteindre un gros dans les années 90, tend à remonter pour retrouver un niveau d’activité des années 70, les hommes et les femmes étant devenus égaux face à l’emploi.
Depuis 2010, l’augmentation de près de 750 000 personnes actives pour la classe d’âge 60-64 ans peut être imputable au passage de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, même si cette augmentation s’inscrit dans une tendance plus structurelle ayant démarrée à partir de 2000.


Source : Insee, enquête Emploi

L’augmentation de la population active des 60-64 ans ne s’est pas traduit pas un chômage accru, de même que la population active globale a à peine augmenté.


Source : Insee, enquête Emploi

Alors que le taux d’activité de la classe d’âge 60-64 ans a quasiment doublé en 10 ans, le taux de chômage a peu augmenté, passant seulement de 5 à 7% de 2010 à 2015 puis en restant stable après. Le taux de chômage reste inférieur à la moyenne générale.

Evolution de l’activité des 55-59 ans pour estimer la population active de 60-64 ans de demain


Source : Insee, enquête Emploi

Le taux d’activité de la classe d’âge des 55-59 ans semble arrivé à un niveau maximum, de 80% pour les hommes, et 75% pour les femmes, soit 77,5% pour l’ensemble de la population.
Cela donne un effectif de population active stabilisé à 3,3 millions de personnes, réparti de façon égale entre les hommes et les femmes, ce qui correspond à un effectif de 660 000 actifs pour une classe d’âge annuelle, sans doute avec une décroissance entre 55 et 59 ans. En première approximation, on peut considérer que le nombre d’actifs entrant dans la classe d’âge des 60-64 ans est d’environ 650.000 actifs.


Source : Insee, enquête Emploi

Le départ à la retraite plus tardif peut-il se traduire par une augmentation du chômage ?

Comme vu ci-dessus le départ à la retraite plus tardif depuis 2010 s’est traduit par une augmentation de la population active des 60-64 ans d’environ 750 000 personnes (correspondant donc à plus d’un an de report de l’âge de départ à la retraite. Si l’on prend l’évolution de la population active des 60-64 ans, le nombre des actifs augmente depuis les années 2000, étant passé de 0,28 millions à 1,43 millions d’actifs, soit une augmentation d’environ 1,15 million qui ne peut être imputable aux règles de départ à la retraite.


Source : Insee, enquête Emploi

En tout état de cause, même si l’augmentation de 750 000 actifs serait imputable à l’allongement de l’âge du départ à la retraite, cette augmentation n’a pas provoqué un chômage accru des plus actifs les plus âgés ou d’un chômage accru des plus jeunes.
Soulignons aussi que le taux de chômage des actifs âgés de 7% est inférieur à la moyenne, le chômage étant surtout plus important chez les jeunes.
Dans le même esprit, on ne peut pas affirmer que l’augmentation de l’emploi des actifs âgés auraient pour conséquence un moindre emploi de jeunes actifs. Jusqu’en 2016, le taux de chômage des jeunes a effectivement augmenté, mais dans une proportion identique à celle du taux de chômage des actifs âgés. Et depuis 2017, le taux de chômage des jeunes a particulièrement diminué alors que celui des plus âgés est resté stable.
En conclusion, peut-on imaginer quel pourrait être les effets d’un report de l’âge de départ à la retraite d’un an par exemple sur le chômage ?
Dit autrement, quel effet du maintien sur le marché du travail de 650 000 actifs correspondant au report d’un an de l’âge de départ à la retraite ?
L’évolution de la dernière décennie indique que la question est de voir comment va évoluer le nombre global des actifs en regard du volume global des emplois, en n’oubliant pas qu’il s’agit là de trouver une adéquation entre offre et demande.

L’augmentation du nombre des actifs âgés peut-il être finalement une réponse aux difficultés croissantes de recrutement ?

D’une part le volume global des emplois est tendanciellement en légère hausse, et d’autre part le nombre des actifs toute classe d’âge confondue a tendance à être en légère baisse. Le taux d’occupation des femmes semble avoir effectué son rattrapage vis-à-vis des hommes, le taux d’occupation des 15-24 ans semble avoir stoppé sa baisse mais l’effectif des jeunes arrivant sur le marché du travail a tendance à diminuer. Aussi il apparaît que le nombre de chômeurs devra diminuer drastiquement pour permettre d’occuper tous les emplois offerts. Or alors que le taux de chômage diminue aux alentours de 7%, les difficultés de recrutement s’amplifient très fortement, d’autant plus que les besoins de main d’œuvre ne cessent d’augmenter.
L’enquête des besoins de main d’œuvre réalisé de façon récurrente par Pole Emploi, indique que les secteurs publics et privés ont des projets de recrutement qui ont beaucoup augmenté depuis 2017, passant grosso-modo de 2 000 000 à 3 000 000.


Source : Pole Emploi – enquête BMO

Évidemment la Covid a eu un effet de ralentissement de la tendance à la hausse mais de façon finalement modérée.
Il ne faut pas traduire l’évolution à la hausse du nombre de projets de recrutement par une augmentation équivalente de l’emploi, pour plusieurs raisons : il n’est pas compté ici l’emploi non salarié ; tous les projets de recrutement n’aboutissent pas sur un emploi ; de nombreux projets correspondent à des CDD, notamment de saisonniers ; beaucoup de recrutements correspondent à du remplacement ; et puis de façon globale au niveau de l’économie, il y aussi des pertes d’emploi qui peuvent être parfois en nombre supérieur aux créations d’emploi.
Toutefois une augmentation des besoins des projets de recrutement en si grand nombre indique une relative augmentation du volume global des emplois, à la condition que les offres d’emploi puissent être satisfaites. Or les difficultés de recrutement ont considérablement augmenté. La part des projets déclarés comme difficiles par les recruteurs est passé de 38% pour 2017 à près de 58% pour 2021. Les projets difficiles sont ainsi passés de 800 000 en 2017 à 1 800 000 en 2021, soit 1 000 000 de projets difficiles supplémentaires qu’il va être difficile pourvoir.


Source : Pole Emploi – enquête BMO

Ainsi alors que le nombre de demandeurs d’emploi tend à diminuer, le nombre de poste à pourvoir tend à fortement augmenter. De nombreux facteurs sont à l’œuvre, l’analyse plus fine indique que les difficultés de recrutement touchent dorénavant tous les secteurs et se généralisent à tous les métiers. Il y a bien entendu des secteurs plus touchés que d’autres, et des métiers plus concernés que d’autres. Parmi ces facteurs, on peut évoquer les problèmes de mobilité des demandeurs d’emploi mais aussi d’attractivité des métiers ou des entreprises, sans oublier le défaut de qualification ou d’employabilité des demandeurs d’emploi, en particulier des plus jeunes mais pas seulement.
La conséquence pour notre problématique, est que l’emploi des seniors est souvent vu par les entreprises comme une réelle solution à leur difficulté de recrutement, cela étant bien entendu à mettre en regard à l’aménagement des postes et des missions, surtout pour les métiers les plus usant.
L’ampleur des difficultés de recrutement qui en est arrivé au point où elles constituent un des facteurs de la récession économique au même titre que l’augmentation du coût des intrants.
Aussi il apparaît évident que face à 1 800 000 de postes difficiles à pourvoir, il y aura possibilité de maintenir en emploi les éventuels 650 000 actifs supplémentaires induits par le report d’un 1 an de report de départ à la retraite. Et cela pourra se faire sans empêcher des jeunes à trouver un emploi. Il se pourrait même que le développement du mentorat et tutorat permette à la fois de professionnaliser les jeunes (apprentissage, transfert du savoir) en donnant de nouvelles missions aux plus anciens avant qu’ils ne quittent l’entreprise.
Le maintien dans l’emploi des seniors ne peut évidemment pas être la seule solution. Il s’agit sans doute aussi d’améliorer l’accès à l’emploi des jeunes, en particulier des jeunes peu qualifiés. Il s’agit aussi d’intégrer des actifs immigrés, qu’ils viennent d’Ukraine, des pays de l’Est de l’Europe, d’Afrique du Nord, de l’Ouest ou du Moyen-Orient.
Dans tous les cas, que cela soit l’emploi des seniors ou des jeunes peu qualifiés ou des immigrés, il importe d’accompagner d’urgence à les entreprises, notamment les plus petites, dans l’investissement en ressources humaines qu’elles doivent nécessairement faire alors qu’elles font face à de grand défis économiques, techniques et environnementaux, alors que les ressources financières sont réduites du fait de l’inflation, de la réduction des marges et aussi de la grande difficulté à recourir à l’emprunt bancaire.
On ne peut pas réfléchir à la réforme de la retraite sans prendre en considération que le monde est en profonde mutation, dont le Covid, la guerre en Ukraine ou l’augmentation du prix de l’énergie ne sont finalement que des symptômes.

Et très certainement, notre système de retraite est à réformer, pour permettre aux seniors de rester actifs et de participer à la mutation formidable de la société et sans doute aussi éviter d’augmenter les prélèvements obligatoires (sociaux et fiscaux) qui seraient inévitables pour garantir un niveau de retraite décent à nos aînés sans parler des besoins d’investissement et d’emploi pour la prise en charge de la dépendance en fin de vie.

Hugues JURICIC