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Plan de relance et développement de l’alternance

Formidable soutien du Plan France Relance au développement de l’alternance

Cet article se base sur les résultats de l’évaluation du Plan France Relance de France Stratégie (Rapport d’évaluation d’octobre 2021, chapitre 7 relatif au « Plan 1 jeune 1 solution ») et de données de la DARES.
Rapport à télécharger : fs-2021-rapport-evaluation-plan_france_relance-octobre – Chap 7 Plan 1 jeune 1 solution
Article à télécharger : Développement Alternance Plan Relance

Le plan « 1 jeune 1 solution » a pour objectif d’éviter que la crise sanitaire ne conduise à de fortes augmentations des situations d’exclusion et de précarité des jeunes.
Lancé en juillet 2020 au sortir du premier confinement, au moment où l’on a commencé à comprendre que la crise sanitaire se doublait d’une grave crise économique et sociale. Et les jeunes ont été identifiés comme particulièrement vulnérables en période de difficultés économiques, avec une sensibilité de l’emploi des jeunes particulièrement forte, en partie du fait de la plus grande précarité de leurs contrats de travail. Il s’agissait donc d’aider à leur meilleure intégration dans le monde du travail, précisément pour diminuer l’exclusion et la précarité.
Le plan « 1 jeune 1 solution » vise donc à compléter les mesures de soutien à l’emploi, de formation et de lutte contre la précarité en direction des jeunes quel que soit leur profil, qu’ils soient étudiants, en recherche d’un premier emploi ou inactifs.
Le plan est articulé autour de trois grandes priorités :
‒ faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail,
‒ accompagner les jeunes éloignés de l’emploi,
‒ orienter et former les jeunes.

La première priorité est de faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail, principalement par des aides à l’embauche et à l’entrée en alternance, avec un objectif ambitieux d’aider à l’embauche de 1,5 million de jeunes pour un coût de 7,6 Md€ :
– une aide à l’embauche sur des périodes allongées de jeunes de moins de 26 ans : 1,1 Md€ pour 450 000 jeunes
– une aide massivement accrue à l’alternance qui apparaît la modalité d’intégration dans l’emploi la plus solide, tout en permettant aux entreprises d’acquérir de nouvelles compétences : pour l’apprentissage 5,1 Md€ pour 820 000 jeunes et pour le contrat de professionnalisation 0,8 Md€ pour 132 000 jeunes
– un financement supplémentaire pour le service civique : 0,6 Md€ pour 100 000 jeunes.

La deuxième priorité est d’accompagner les jeunes éloignés de l’emploi, grâce à de nouveaux financements apportés à des dispositifs préexistants : environ 500 000 parcours d’accompagnement supplémentaires au titre des principaux dispositifs (Pôle emploi et missions locales principalement), pour un coût estimé à 1,3 Md€.

La troisième priorité est d’améliorer l’orientation et la formation des jeunes : sur le cadre fourni par le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) mis en oeuvre pour la période 2018-2022. L’objectif est d’ouvrir plus de 300 000 places supplémentaires pour orienter et de former les jeunes aux secteurs et métiers jugés d’avenir mais aussi de lutter contre le décrochage scolaire, pour un montant de 1,4 Md€.

A la fin septembre 2021, au moins 2,1 millions d’aides ou d’entrées dans des parcours d’accompagnement ou de formation sont comptabilisés :
– 1,4 million d’embauches aidées : 0,58 au titre de l’AEJ, 0,77 au titre de l’aide à l’apprentissage,0,08 au titre de l’aide aux contrats de professionnalisation
– 0,62 million de parcours d’accompagnement- 0,22 million d’entrées en parcours de formation PIC

Les aides exceptionnelles à l’alternance prévues dans le cadre du plan « 1 jeune 1 solution » interviennent dans le contexte de la réforme de l’apprentissage intervenue en 2018 et d’une progression constante de ces contrats ces dernières années. Dès 2019, le nombre de nouveaux contrats d’apprentissage signés par des jeunes de moins de 26 ans a ainsi progressé de 44 000 par rapport à 2018, soit +15 %. Dans le même temps, les entrées en contrats de professionnalisation ont reculé (-17 000 soit -10 %), portant l’évolution des entrées en alternance (apprentissage et contrat de professionnalisation confondus) chez les moins de 26 ans à +26 000 en 2019, soit +6 %.
L’accélération de cette bascule du contrat de professionnalisation vers l’apprentissage en 2020 pourrait en partie s’expliquer par le fait que les aides exceptionnelles mises en œuvre dans le cadre du plan « 1 jeune 1 solution » n’ont pas fait disparaître la différence de coût employeur pour les entreprises en faveur de l’apprentissage.
L’aide exceptionnelle réduirait fortement le coût de la première année de travail d’un apprenti, qui serait inférieur à 500 euros pour un apprenti de moins de 21 ans, quels que soient la taille de l’entreprise et le niveau de diplôme préparé.
L’aide exceptionnelle réduirait également le coût d’une première année d’un contrat de professionnalisation pour un jeune de 18 à 20 ans préparant un diplôme de niveau Bac ou inférieur de plus de 10 000 euros à près de 2 500 euros. Celui-ci resterait cependant supérieur en moyenne au coût employeur d’un contrat d’apprentissage. Ce qui expliquerait en partie pourquoi le recours à l’apprentissage serait préféré à la professionnalisation.
Le régime exceptionnel des aides à alternance prévu par le plan « 1 jeune 1 solution » a pu contribuer à accélérer cette tendance. En effet, il est plus favorable pour les contrats du supérieur jusqu’à Bac +5 qui peuvent bénéficier de l’aide exceptionnelle alors qu’ils n’étaient pas éligible à l’aide unique (sauf jusqu’à Bac +2 dans les DROM). Ainsi, la part du surcroît des aides augmente avec le niveau de la formation de l’alternant ; 71 % du surcroît est versé à des contrats d’alternance post-Bac, qui ne pouvaient pas bénéficier de l’aide unique.
La littérature économique indique que le développement de l’alternance explique une part assez importante des différences de taux de chômage chez les jeunes1. Pour autant, le fort recours à l’alternance par des jeunes déjà qualifiés du supérieur pourrait limiter le rôle de protection contre le chômage de ce dispositif. En effet, les jeunes diplômés du supérieur sont les moins exposés au chômage : le taux de chômage avant-crise des diplômés d’un Bac +3 ou plus est de 8,9 % contre 17,0 % et 24,0 % pour les jeunes titulaires au plus d’un diplôme de niveau Bac ou CAP-BEP.
En outre, certains travaux académiques mettent en avant un bénéfice limité dans le supérieur du passage en apprentissage, par rapport à une formation comparable par la voie scolaire. En moyenne, les taux d’insertion apparaissent certes meilleurs pour les apprentis que pour ceux ayant obtenu le même niveau de formation par la voie scolaire.
Cependant, une fois les effets de sélection neutralisés, les étudiants ayant préparé un diplôme du supérieur par l’apprentissage ne connaissent pas une meilleure insertion sur le marché du travail. Ce résultat est également valable dans le cas allemand. En analyse causale, seul l’apprentissage dans le secondaire a un effet positif sur l’insertion sur le marché du travail, en termes d’évitement du chômage, sans effet sur le niveau de salaire.
Le soutien de l’apprentissage dans le supérieur pourrait avoir des effets indirects, en favorisant l’accès de jeunes de milieu peu favorisé à des formations longues, parfois coûteuses. De fait, les apprentis du supérieur, particulièrement lorsqu’ils sont élèves de grandes écoles, sont d’origine sociale plus modeste que leurs camarades de la voie scolaire. Cependant, cet objectif semble différent de celui visé par le plan « 1 jeune 1 solution » d’amélioration de l’insertion professionnelle des apprentis.

Estimation des nouveaux contrats en 2020 et 2021 pour les moins de 26 ans

Moins de 26 ans 2020 Appren-tissage Contrats aidés 2020 2020 Contrat pro Contrats aidés 2020 2021 Appren-tissage Contrats aidés 2021 2021 Contrat pro Contrats aidés 2021
1er sem. 10 000  – 22 000 60 000 55 000 15 000 13 000
3ème tr. 380 000 345 000 34 000 30 000 300 000 270 000 40 000 35 000
4ème tr. 100 000 90 000 14 000 12 000 90 000 80 000 15 000 13 000
TOTAL 490 000 445 000 70 000 42 000 450 000 405 000 70 000 63 000
+ 26 ans 30 000 43 000

Source DARES – traitement HJC
Hypothèse de taux couverture de l’aide : 92% apprentissage et 88% contrat pro
Hypothèse des contractualisation au 4ème trimestre : 20% des contrats annuels
Les volumes extrapolés sont en italique.
L’estimation table sur une concomitance entre l’engagement de l’aide et le début du contrat. Il est vraisemblable qu’il y ait un certain glissement. Ce qu’indique le volume des aides pour l’apprentissage au 1er semestre 2021 correspondant à 60 000 contrats. Il est possible que l’aide ait pu conduire à faire débuter des contrats plus tôt que d’habitude, mais cette anticipation induite par l’aide ne compte sans doute pas pour 60 000 contrats.

L’extrapolation des résultats à fin septembre indique bien la forte utilisation de l’aide à l’apprentissage qui a été constaté en 2020. Mais en revanche il ne semble pas que le volume des contrats d’apprentissage soit en augmentation comme il l’a été en 2020 par rapport à 2019, compte en tenu du volume d’aide donné à fin septembre alors que le gros des contrats (plus de 80%) a été réalisé. En se fiant au volume d’aide imputable aux 3 premiers trimestres de 2021, à savoir 770 000 contrats aidés à fin septembre auxquels il faut déduire 445 000 contrats aidés imputables à 2020, soit 325 000 aides, on peut estimer un volume d’aides d’environ 405 000 en tablant sur un surcroît de 20% pour le 4ème trimestre. Cela conduit à estimer le volume des contrats d’apprentissage (pour les moins de 26 ans) à environ 450 000 contrats. Ce qui constituerait une baisse de 10% par rapport à 2020. Si le volume d’aide à fin septembre s’avère sous-estimé dans le rapport d’évaluation, il sera possible de revoir à la hausse, le volume des contrats. Mais cette réévaluation sera-t-elle suffisante pour tabler sur une augmentation de l’apprentissage ?
Pour les contrats pro, la même extrapolation avec les mêmes hypothèses et incertitudes, indique que le volume des contrats pro serait au même niveau qu’en 2020. Si l’on table sur une réévaluation de même ordre que pour l’apprentissage, on peut espérer une augmentation des contrats de professionnalisation. Il semble en tout cas, que la baisse constatée depuis quelques années soit stoppée.

Doit-on conclure qu’il y a en 2021 un certain rééquilibrage entre apprentissage et contrat pro ? Il est évidemment trop tôt de conclure quoi que ce soit de solide à ce stade.
Il demeure que les résultats à fin septembre après le formidable démarrage de l’aide exceptionnelle de l’apprentissage qui avait conduit à réviser fortement à la hausse le budget du plan « 1 jeune, 1 solution » et à prolonger le dispositif, indiquent en 2021 un relatif ralentissement du développement de l’apprentissage et une relative reprise des contrats de professionnalisation.
En tout état de cause, l’objectif de 820 000 jeunes aidés à fin décembre 2020 en apprentissage sera vraisemblablement dépassé à fin 2021 pour atteindre 850 000 contrats aidés et l’objectif de 132 000 en contrat de professionnalisation, sera vraisemblablement presque atteint avec 110 000 contrats aidés.
Pris ensemble l’objectif de 950 000 jeunes aidés devrait être atteint avec 960 000 contrats aidés au total. Il pourrait même être bien dépassé si l’on considère le décalage entre la contractualisation et l’engagement de l’aide qui pourrait représenter quelques dizaines de milliers de contrats.

Pour conclure, doit-on déduire que le plan de relance a permis de développer l’alternance ? Difficile à dire car au final l’évolution du nombre des contrats en alternance est dans la continuité de ce que l’on a constaté depuis 2017-18.
En revanche, le Plan de Relance avec sa déclinaison « 1 jeune 1 solution » a permis de soutenir le développement de l’alternance dans un contexte économique dépressif et d’avoir pu passer le cap de la crise sanitaire. Les conclusions seront identiques pour les autres dispositifs soutenus comme l’accompagnement des jeunes ou les formations pour les métiers en tension.
En ce sens, le Plan de Relance a pleinement joué son rôle en « limitant la casse » et en particulier l’exclusion et la précarité des jeunes. Il a sans doute permis également de maintenir, voire renforcer les dispositifs d’orientation, de formation et d’accompagnement. Mais il n’a pas résolu la question protéiforme de l’acquisition des compétences, de la professionnalisation et de l’intégration des entrants sur les marchés du travail, ou de la question des difficultés de recrutement et du développement des compétences que vivent les entreprises dans de si nombreux secteurs économiques. Mais était-ce le rôle du Plan de Relance ?
Ce qui est à craindre finalement est le fait que la plus grosse partie de l’aide du Plan « 1 jeune 1 solution » ait été accaparée par l’apprentissage, ce qui a conforté les centres de formation d’apprentissage dans leurs pratiques « d’avant », et ne l’a pas incité à évoluer comme la réforme de la formation de 2018 les y invite, évolution pourtant nécessaire pour développer l’alternance en répondant mieux (de façon plus SMART) aux besoins des entreprises, des plus petites aux plus grandes, pour faciliter l’intégration et la professionnalisation des demandeurs d’emploi dans leur diversité de situation d’employabilité, jeunes et moins jeunes, ce qui permettrait de résoudre autant faire que se peut les difficultés de recrutement des entreprises.

Hugues JURICIC, novembre 2021, Givry (71)

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