Archives annuelles : 2020

Repenser la souveraineté alimentaire suite à la crise sanitaire

Webinaire organisé par Agreenium et Demeter, le 20 mai 17h30
Compte-rendu Hugues JURICIC

Jean-François Loiseau (Coop de France) : Les filières agroalimentaires se sont organisées pour faire face et répondre à la nécessité de maintenir la production et la distribution des produits agricoles, en France et à l’étranger. Cela signifie de prendre soin à tous les maillons de la chaîne, le système d’information, la logistique, la maintenance, le conseil et l’appui technique aux agriculteurs etc. avec la préoccupation de maintenir le financement alors que certaines activités étaient impactées directement pas la crise et le confinement.

Philippe Mauguin (INRAE) : L’INRAE a été finalement relativement prêt pour réduire ses activités de laboratoire et développer le télétravail. Les animaleries et le matériel végétal ont été bien entendu préservés, mais les expérimentations ont été ralenties voire stoppées. Les labos ont été mobilisés pour travailler sur le covid, avec notamment un mouvement de solidarité à destination des hôpitaux (ex. masques). Il y a beaucoup de partenariat avec les entreprises, et l’on peut se poser des questions sur l’état économique à la sortie de la crise.

Sébastien Abiss (DEMETER) : La crise a rappelé à la société que l’alimentation était un besoin vital. Il y a eu une prise de conscience que les agriculteurs et les filières agroalimentaires ont permis de garantir la sécurité alimentaire. Il est important de prendre conscience qu’en temps ordinaire le secteur agricole et alimentaire en France fonctionne bien, et aussi en temps extraordinaire. L’offre alimentaire est diversifiée, de qualité et sécurisée.
Le confinement a révélé des fractures. La précarité alimentaire s’est accentuée. Manger à la maison n’est pas toujours évident. Et à l’opposé, de nombreux consommateurs désirent manger mieux et plus diversifiés. Notons que les territoires ruraux se sont trouvés plus isolés du fait de la fracture numérique et d’une offre de service de livraison à domicile moindre. Les alimentations de qualité, made in France, risquent d’être réservé à la population la plus aisée, avec une marginalisation de la population la pauvre qui ne pourra que consommer avec moins de qualité et à prix plus abordable.

JF Loiseau : L’enjeu est de trouver un modèle de production durable qui garantisse une sécurité de l’alimentation, en qualité et quantité, respecte l’environnement et rémunère tous les acteurs de la filière. La notion de souveraineté apparaît comme excessif. L’organisation agricole et alimentaire doit permettre de produire en quantité et en qualité. On doit produire de moins en moins carboné ou chimique, mais cela ne peut s’opérer de façon abrupte et radicale. Toute la chaîne de la terre jusqu’au réfrigérateur doit être regardée. La souveraineté alimentaire ne peut être conçue comme une indépendance. Nous avons besoin d’échanger. Il s’agit de produire dans les pays tiers dans le respect des producteurs et de l’environnement. La France agricole peut être forte, résiliente et sans doute, en aucun cas, repliée sur elle-même.

Ph Manguin : La recherche va être impactée par le covid. Le développement du numérique bien entendu mais trois sujets forts de recherche émergent.
1ère thème : la zoonose. Près de 75% des maladies humaines ont une origine animale, dont 60% viennent de la faune sauvage. Il y a de ce fait un lien avec la déforestation et la régression de la biodiversité et la zoonose. Les liens devraient se resserrer entre les différents réseaux de rechercher à l’échelon mondiale.
2ème thème : la résilience des systèmes alimentaires. On a craint au début pour les circuits courts notamment. Il y a même eu quelques pénuries dues au comportement des consommateurs. Les filières se sont adaptées, des solidarités nouvelles sont apparues et les consommateurs ont réagi avec agilité. Les systèmes alimentaires ont été résilients, sans doute grâce à la multiplicité des canaux de distribution. Il faut toutefois s’inquiéter de la précarité alimentaire, en France mais aussi dans le Monde. On n’est pas aussi à l’abri d’une crise majeure de l’offre, du fait d’une pénurie de production qui ne permettrait pas répondre aux besoins alimentaires.
3ème thème : la souveraineté alimentaire. Cela ne peut se résoudre par une autarcie et un repli sur soi. Néanmoins, il faut s’assurer d’avoir les stocks et une capacité de production suffisant lors d’une crise majeure. Et cette question doit être posé à l’échelon des continents, tant en Europe qu’en Afrique. La question de l’alimentation animale est également posée, en devant regagner de l’indépendance vis-à-vis des importations comme le soja, dont la production pose de graves questions environnementales. La souveraineté alimentaire doit aussi être solidaire et durable, respectueuse de l’environnement. En particulier on doit aussi aider l’Afrique à obtenir sa souveraineté alimentaire, durable et solidaire.

S. Abyss : La souveraineté signifie pour un pays d’avoir la capacité à organiser sur son territoire avec toutes les parties prenantes la sécurité alimentaire, en période ordinaire et aussi extraordinaire. Cela signifie de préserver le système de production, avec le renouvellement des générations. La souveraineté doit aussi se concevoir à l’échelon européenne (voir la stratégie de la ferme à la fourchette qui était présentée hier à Bruxelles). La souveraineté doit aussi être solidaire à l’international. L’écosystème national, les filières, l’enseignement agronomique, la recherche, doit savoir se mobiliser pour promouvoir à l’international le modèle français de production, de recherche-développement au service de la production. En aucun cas, la souveraineté n’est un repli soi.
https://www.lopinion.fr/edition/economie/covid-19-va-t-il-faire-derailler-chaines-alimentaires-mondiales-215365

Quelques idées fortes pour l’avenir :
On ne peut pas découper les sujets : adaptation aux changements climatiques, sécurité alimentaire en quantité et qualité, transition énergétique, biodiversité, revenu des agriculteurs.
Il y a des pistes de solution. Il est possible de promouvoir un système agricole et alimentaire, durable, respectueux de l’environnement et solidaire.
Le plus grand danger du post covid est le repli nationaliste. On a plus que jamais besoin de coopération, de multilatéralisme, d’échanges au niveau planétaire tout en s’assurant, chacun à son niveau de la sécurité alimentaire.

Impact du coronavirus sur les métiers

Une étude de France Stratégie fait un premier point sur l’impact de l’épidémie sur les différentes activités économiques et plus précisément sur la plus ou moins grande vulnérabilité des différents métiers. Une typologie en cinq groupes de métiers est proposée :
Groupe 1. les métiers « vulnérables de toujours » qui conjuguent une difficulté à travailler à distance et des statuts souvent précaires (un sur cinq exerce en CDD ou en intérim). Ces 4,2 millions de travailleurs, majoritairement des hommes, artisans et ouvriers de l’industrie et du bâtiment, sont traditionnellement confrontés à des conditions de vie et de travail difficiles.
Groupe 2. Les métiers « nouveaux vulnérables »  affrontent une crise inédite liée à l’exercice même de leur métier qui les met en contact avec le public. Leurs activités sont ralenties, voire interdites, et leur statut les fragilise (31 % de contrats intermittents ou d’indépendants en solo). Ces 4,3 millions travailleurs dans les métiers du transport, de l’hôtellerie-restauration, des services aux particuliers, de l’art, de la culture et du sport, la vulnérabilité financière se double d’une incertitude sur l’avenir.
Groupe 3. Les métiers sur le « front » correspondent aux 10,4 millions de professionnels directement ou indirectement sur le « front » dont les activités apparaissent essentielles dans cette crise. Ce sont tous les métiers de la santé, de l’éducation, de la propreté, de l’alimentaire et de sa distribution, et les professions régaliennes. Peu fragilisés économiquement, ils n’en sont pas moins exposés à une vulnérabilité d’ordre sanitaire
par leur contact direct avec le public pour les trois quarts d’entre eux. Parmi les plus mal rémunérées et davantage occupées par des femmes, ces professions sont exposées à une intensification du travail.
Groupe 4. Les télétravailleurs (3,9 millions ) sont exposés à un nouveau risque d’hyperconnectivité. Essentiellement occupées par des cadres, ces professions doivent, à distance, assurer la continuité du travail et préparer la reprise d’activité. Soumis d’ordinaire à une plus forte intensité du travail, ils voient leur charge mentale et les difficultés de conciliation avec la vie familiale renforcées par la crise.
Groupe 5. Les travailleurs en inactivité partielle protégés du licenciement à court terme par leur statut. Ce sont des professions intermédiaires ou des employés qualifiés (4 millions d’emplois) qui ne peuvent télétravailler et qui, de ce fait, peuvent être exposés à des risques d’éloignement de la sphère professionnelle et de désocialisation.

L’impact de la crise sera ainsi particulièrement fort, et pour certains très dur, pour les groupes 1 et 2, qui représentent 8,5 millions de travailleurs (salariés et non salariés) sur un total d’environ 26,8 millions, soit 32% des travailleurs…

Source : France Stratégie – télécharger le rapport fs-2020-na88-metiers-corona-avril

La réforme de la formation professionnelle et les petites entreprises (IV)

La réforme de la formation professionnelle initiée par la loi Avenir professionnel de 2018, apparait très prometteuse pour accompagner la mutation structurelle de l’économie, en permettant aux entreprises et aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires à cette mutation. Elle pose toutefois question sur quelques points cruciaux pour atteindre véritablement son objectif de développement des compétences accessibles à toutes et tous.

Le formidable double effort pour développer les formations préparatoires à l’emploi à destination des demandeurs d’emploi (dans le cadre du PIC et des PRIC) et pour développer la formation en l’alternance, correspond à la volonté de réduire le chômage et de permettre aux entreprises d’acquérir les compétences dont elles ont besoin. Mais, au final, ces actions ne sont-elles pas performantes, non pas tellement du fait de la pertinence de la formation, mais plutôt du fait de l’accompagnement réalisé auprès des candidats au recrutement, mais aussi auprès des recruteurs, avant, pendant et après l’action de formation ?

La résolution des difficultés de recrutement passe sans doute par une mobilisation des acteurs de l’emploi et de la formation au plus près des petites entreprises au sein du bassin d’emploi.

Cette démarche d’accompagnement de gestion des compétences dans les petites entreprises est totalement transposable au recrutement. Pour développer l’apprentissage comme pour insérer professionnellement des demandeurs d’emploi éloignés de l’emploi, comme pour aider les entreprises à résoudre leurs difficultés de recrutement, se sont développés de multiples actions auprès des petites entreprises. Les actions mobilisent la formation professionnelle, le plus souvent des formations certifiantes, qui permettent de préparer les candidats à l’embauche (POE individuelles ou collectives) ou qui permettent de former dans le cadre de l’embauche (apprentissage et contrat pro). Dès lors que l’on s’adresse aux petites entreprises, il y a toujours besoin d’un accompagnement, avant, pendant et après le recrutement. Dans bien des cas, la recherche des candidats est même faite par le prestataire (organisme de formation, pôle-emploi, mission locale, ou encore entreprise de travail temporaire ou même GEIQ groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification…).

Et puis, point essentiel pour les petites entreprises, les actions sont menées au niveau du bassin d’emploi, où les acteurs de l’emploi et de la formation agissent en partenariat avec les entreprises, souvent dans une démarche intersectorielle, sans négliger la mobilisation des branches lorsqu’elles sont présentes sur le territoire. Ce type d’action a déjà été initié dans le cadre des PLIE, plans locaux d’initiative pour l’emploi. Nombre d’actions mises en œuvre dans le cadre du PIC Plan d’investissement dans les compétences, s’inscrivent dans cette démarche, déjà ancienne, tout en comportant bien entendu des points d’innovation particulièrement intéressants.

Citons pour exemple le dispositif GACET, de Gestion Anticipée des Compétences et de l’Emploi sur le Territoire qui a été initié en Bourgogne-Franche-Comté. Ce dispositif est intéressant et innovant, car il ne part pas du principe « ancien monde » de l’insertion des jeunes éloignés de l’emploi, mais de la difficulté de recrutement des TPME (très petites, petites et moyennes entreprises) du territoire.

Le constat est que le décalage entre l’offre et la demande perdure sur le marché de l’emploi, qu’il est même amplifié pour les TPME, du fait que les moyens en gestion des ressources humaines y sont limités, que les profils des emplois sont protéiformes et souvent mal définis et que les emplois qu’elles proposent sont mal valorisés ou moins attractifs.
Ajoutons que du côté des demandeurs d’emploi, leur faible mobilité géographique et professionnelle accentue la difficulté de rapprocher l’offre et la demande.
Aussi, le dispositif de GACET vise à répondre aux enjeux pour les TMPE : disposer de personnes plus adaptables, augmenter la mobilité géographique et professionnelle des personnes, rendre attractif les territoires et les petites entreprises.

Pour ce faire, le dispositif GACET mobilise tous les acteurs des territoires pour :

  • Adopter une approche compétence qui ouvre le champ des mobilités professionnelles
  • Travailler sur la base des activités partagées par grandes familles de métiers pour définir des troncs communs d’activité ainsi que des compétences transversales, de façon à créer des actions collectives de formations transversales
  • Anticiper la formation transversale ou « troncs communs d’activité » avant emploi avec une formation spécifique après embauche, de fait plus individualisée.

Et puis surtout, le dispositif accompagne les TMPE dans l’acte de recrutement, pour sélectionner les candidats, pour les former avant l’embauche (compétences transversales) puis les former après l’embauche (compétences spécifiques).

L’approche collective au niveau d’un territoire permet de mobiliser « en masse » les TPME et d’apporter des solutions les plus adaptées. L’approche collaborative permet de faire des réponses singulières en trouvant ce qui peut être « industrialisé » tout en individualisant l’accompagnement.

Hugues JURICIC, 18 février 2020

La réforme de la formation professionnelle et les petites entreprises (III)

La réforme de la formation professionnelle initiée par la loi Avenir professionnel de 2018, apparait très prometteuse pour accompagner la mutation structurelle de l’économie, en permettant aux entreprises et aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires à cette mutation. Elle pose toutefois question sur quelques points cruciaux pour atteindre véritablement son objectif de développement des compétences accessibles à toutes et tous.
La difficulté majeure des petites entreprises est précisément de ne pas avoir la ressource humaine en gestion de l’emploi et des compétences. Qui va fournir ce travail d’accompagnement, travail qui est chronophage et coûteux quand on le rapporte au budget de formation concerné ?

Un enjeu majeur de la réforme de la formation est d’améliorer le taux d’accès de la formation des salariés en particulier des plus petites entreprises, et ce faisant d’accompagner les TPME pour faire face aux enjeux majeurs comme la révolution numérique ou la transition énergétique, tout en permettant aux salariés de préserver (ou améliorer) leur employabilité.

Aussi, cet enjeu de la réforme ne pourra avoir des réponses appropriées qu’à deux conditions :

  • Que le budget consacré à la formation par les entreprises de moins de 50 salariés augmente de façon substantielle, directement via le plan de formation mis en œuvre par l’entreprise, ou indirectement par la mobilisation des comptes personnels de formation par les salariés
  • Que l’accès à la formation soit facilité par un accompagnement territorial ou sectoriel d’une part des entreprises pour la mise en œuvre de leur plan de formation, et d’autre part des salariés pour la mobilisation de leur compte personnel de formation (et du CEP conseil en évolution professionnelle).

La réforme de la formation amplifie l’individualisation de la démarche de formation (le DIF droit individuel à la formation devenant le CPF compte personnel de formation) et risque de réduire les démarches collectives menées dans le cadre des plans de formation.

Les grandes entreprises, celles qui ont plus de 300 salariés, ont un service de gestion du personnel avec des personnes en charge de la mise en œuvre des plans de formation. Elles avaient déjà un haut niveau de pratiques de formation, et à la suite à la réforme, elles vont sans aucun doute continuer.

Les entreprises entre 50 et 300 salariés sont, dans la réforme, assimilées aux plus grandes. Elles avaient un niveau de pratiques de la formation assez proche des plus grandes avec un taux d’accès la formation approchant les 50% des salariés. Mais cette dynamique de formation était accompagnée par les branches. La mutualisation des fonds via les OPCA permettait de démultiplier au niveau national, mais aussi dans les territoires, l’effort de formation, avec des actions collectives répondant à des besoins spécifiques, ainsi que de mettre à disposition des outils de GRH (gestion des ressources humaines) utiles pour ces PME qui n’ont pas de personnes dédiées à la gestion du plan de formation. On peut donc craindre que ces entreprises de taille moyenne aient des difficultés à maintenir un niveau de pratiques de formation élevé, dans la mesure où leurs ressources en GRH sont limitées. Il demeure la possibilité aux branches à introduire des contributions conventionnelles au plan de formation de façon à développer une offre collective de services à leur intention, ce qui peut d’ailleurs inciter les plus grandes à contribuer de façon volontaire à la dynamique collective mise en œuvre par les branches (via l’OPCA, maintenant devenu l’OPCO).

Cette dynamique concernait les entreprises de 11 à 300 salariés, même si les pratiques des 11 à 49 salariés différaient nettement, avec un taux de recours à la formation qui diminuait nettement dans les plus petites entreprises. Mais celles-ci bénéficiaient de la dynamique créée avec les plus grandes des PME. La réforme casse cette dynamique. Dorénavant les entreprises de 11 à 49 salariés sont assimilées aux TPE ayant moins de 10 salariés. On peut parler de TPME, très petites et moyennes entreprises.

Or, le constat sur le terrain est que la TPME ne fait pas de GRH, n’a pas de stratégie, et ne mobilise pas les dispositifs publics en matière de GRH qu’elle pense trop compliqués, trop lourds. Cependant l’enjeu de la connaissance, de l’évolution des compétences, dans un contexte économique changeant et très exigeant, est majeur pour ne pas dire essentiel. Aussi il est absolument nécessaire que les branches en complémentarité des dispositifs territoriaux mis en place par les acteurs EFPOI (Emploi, formation professionnelle, orientation et insertion) se mobilisent pour accompagner les plus petites entreprises dans leur démarche (informelle) de gestion prospective de l’emploi et des compétences.

L’accompagnement doit toutefois être adapté. Il s’agit d’aborder la question de façon opérationnelle en évitant le vocabulaire de la GRH, les « gros mots » du verbiage des professionnels de la formation. Il s’agit néanmoins bien d’une démarche de GPEC gestion prospective des emplois et des compétences, et d’aider ce faisant les entreprises à formaliser leur Plan de développement des compétences, mais cela doit être adapté à la taille de l’entreprise, être en quelque sorte simplifié, mais sans pour autant édulcorer. Ce faisant, l’employeur acquiert une compétence de GRH, une compétence d’entrepreneur qui gère les connaissances individuelles et collectives comme il sait gérer ses équipements et ses outils. D’ailleurs, à cet égard, le fait que les entreprises vont très bientôt pouvoir amortir les frais de formation, signifie bien que l’on parle d’investissement en capital humain. Il s’agit aussi d’assister les entreprises dans les territoires à résoudre les grandissantes difficultés de recrutement, en recourant plus massivement aux dispositifs de recrutement de demandeurs d’emploi, aux actions de formation préparatoires à l’emploi ainsi qu’aux différentes formes d’alternance dont l’apprentissage.

C’est d’ailleurs précisément l’enjeu de la réforme de la formation professionnelle que d’assouplir, de démultiplier les modalités de la formation :

  • avant l’embauche : enjeu du PIC et de ses déclinaisons en région,
  • dans le cadre du recrutement : enjeu du développement massif de l’alternance,
  • puis dans le cadre du parcours professionnel en entreprise : enjeux du CEP conseil en évolution professionnelle, du développement du CPF, du ProA et bien entendu des formations relevant du plan de développement des compétences, ex-plan de formation des entreprises.

Mais soulignons-le encore une fois, sans un accompagnement des plus petites entreprises et de leurs salariés, cela ne pourra se faire, accompagnement qui doit être réalisé en proximité, sans doute en partenariat renforcé entre les acteurs de l’emploi, de la formation, de l’orientation et de l’insertion dans les territoires.

Hugues JURICIC, le 13 février 2020

La réforme de la formation professionnelle et les petites entreprises (II)

La réforme de la formation professionnelle initiée par la loi Avenir professionnel de 2018, apparait très prometteuse pour accompagner la mutation structurelle de l’économie, en permettant aux entreprises et aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires à cette mutation. Elle pose toutefois question sur quelques points cruciaux pour atteindre véritablement son objectif de développement des compétences accessibles à toutes et tous.
Alors que la réforme de la formation vise à augmenter la formation professionnelle des salariés les moins qualifiés et celle des salariés des petites entreprises, celles-ci, précisément au niveau budgétaire, ne sont-elles pas les délaissées de la réforme, en quelque sorte la dernière roue du carrosse ?

Les dépenses de formation continue des salariés du secteur privé sont de plus en plus à la seule initiative des entreprises.

Dans la réforme initiée en 2018, seules les entreprises ayant moins de 50 salariés se tourneront vers l’OPCO pour le financement des formations de leur salariés. C’est dire que la part du budget de la formation au titre du plan de formation qui sera gérée par les OPCO (ex-OPCA) sera plus faible encore que la part gérée directement par les entreprises.

Aussi, le volume des dépenses pour la formation des salariés (hors apprentissage, professionnalisation, CIF et DIF-CPF) est d’environ 2,8 Mds € pour les entreprises de moins de 50 salariés contre 10,4 Mds € pour les plus grandes, l’écart s’expliquant par le taux d’accès moyen à la formation d’un peu moins de 20% dans les entreprises de moins de 50 salariés alors qu’il est d’un peu plus de 50% dans les plus grandes, soit 2,5 fois plus dans les entreprises ayant 50 salariés et plus.

En prenant comme indicateur les dépenses financées sur les fonds collectés par les OPCA en 2018, le volume des dépenses pour la formation au titre du plan de formation concernant les entreprises de moins de 50 salariés, est encore plus faible, 0,6 Mds pour 1,35 millions de stagiaires pour un nombre de salariés

Si l’on souhaite mettre à niveau la formation des salariés au titre du plan de formation des entreprises ayant moins de 50 salariés, il faudrait augmenter de façon très substantielle le niveau des dépenses, qu’elles soient financées directement par les entreprises ou via la mutualisation des versements obligatoires.

En prenant comme base de calcul, l’effectif de 10,7 millions de salariés des entreprises ayant moins de 50 salariés, le taux d’accès la formation de 50% qui est celui des salariés des entreprises ayant plus de 50 salariés et un coût moyen de 2000 € par stagiaire, il faudrait un budget de 10,7 Mds € ! Loin des 2,8 Mds € estimés pour les dépenses des entreprises de moins de 50 salariés estimés par le CEREQ en 2014 et encore plus loin des dépenses financées par les OPCA en 2018 (0,6 Mds €), et plus loin encore du budget prévu par France Compétences pour les OPCO pour financer le plan de formation des entreprises ayant moins de 50 salariés en 2020 qui est de 0,48 Mds €…

Cela signifie-t-il que les entreprises ayant moins de 50 salariés vont développer massivement la formation en alternance au moment de l’embauche, et que les salariés vont massivement avoir recours au CPF pour se professionnaliser, pour acquérir les compétences dont les salariés et les entreprises ont besoin dans le contexte d’une part des difficultés de recrutement, et d’autre part de la révolution numérique, de la transition énergétique et de la constante mise aux normes HSQE ? On peut avoir de grandes craintes.

Il devient urgent d’investir massivement au niveau des branches, des OPCO mais aussi des organismes de formation pour d’une part, accompagner les entreprises dans leurs pratiques d’embauches pour y intégrer la formation préparatrice à l’emploi et l’alternance, et pour d’autre part, accompagner les salariés pour utiliser leur CPF. Pour ce faire, il est sans aucun doute urgent d’assouplir et rendre plus accessible les formations certifiantes, notamment en décomposant les certifications en « briques » et non pas en « blocs » de compétences ainsi qu’en diversifiant les modalités de formation (AFEST, distanciel mixé avec le présentiel, VAE sous toutes ses formes…), afin de proposer des parcours de professionnalisation dans tous les métiers.

Hugues JURICIC le 12 février 2020

La réforme de la formation professionnelle et les petites entreprises (I)

La réforme de la formation professionnelle initiée par la loi Avenir professionnel de 2018, apparait très prometteuse pour accompagner la mutation structurelle de l’économie, en permettant aux entreprises et aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires à cette mutation. Elle pose toutefois question sur quelques points cruciaux pour atteindre véritablement son objectif de développement des compétences accessibles à toutes et tous.
On doit s’interroger sur le primat donné à la formation certifiante qui semble être le moyen d’acquérir les compétences alors qu’elle ne peut tout au mieux que développer la potentialité des compétences. Ne sommes-nous pas restés englués dans la diplômite aiguë qui gangrène notre société ? Ce faisant, allons-nous effectivement améliorer l’employabilité des actifs et, in fine réduire à la fois les difficultés de recrutement et le chômage ?

L’acquisition des compétences dans les petites entreprises doit-elle nécessairement se faire par le biais de la formation certifiante ?

La formation professionnelle se décompose entre la formation certifiante et la formation non certifiante. La tendance lourde qui sous-tend la réforme de la formation professionnelle est de concentrer les financements publics à la formation certifiante d’une part, et de les focaliser, d’autre part, sur les adultes en mal d’employabilité, en reconversion, en insertion, en apprentissage, c’est-à-dire soit avec un risque de licenciement, soit avec une possibilité d’embauche.

Le besoin d’évaluer les résultats de l’aide publique, de savoir si l’argent public est bien utilisé peut expliquer pourquoi sont préférées les actions débouchant sur un diplôme ou une certification professionnelle, ou sur une embauche. Sont ainsi favorisées les actions de formation certifiantes ou alors des actions de formations non certifiantes mais qui sont préparatoires à une embauche. Ainsi les actions de formation à destination des salariés qui permettent d’affermir les compétences, de les compléter ou de les renouveler, sont plus difficilement justifiables, dans cette logique du résultat. Et pourtant si l’on considère le développement des compétences au sein des entreprises, le plus efficace, mais néanmoins plus difficilement mesurable, est bien la formation continue non certifiante, plutôt de courte durée, qui le plus souvent s’inscrit dans une démarche d’apprentissage collectif, ce qui s’apprend en session de formation étant immédiatement utilisé dans la pratique, à son poste et au sein du collectif de travail. Là alors l’acquisition de nouvelles compétences ou simplement le renouvellement des compétences, se font.

Alors qu’il est parfaitement compris que ce n’est pas à l’école que l’on acquiert les compétences professionnelles, mais, de fait, en situation de travail, dans l’exercice de son métier, il peut apparaître surprenant que la doctrine pour la formation continue semble être que les compétences nécessaires pour exercer un métier ne puissent s’acquérir que dans le cadre d’une formation certifiante, ce qui est d’ailleurs vécu par beaucoup comme un retour à l’école, souvent lieu d’échec. Même la VAE qui par essence doit permettre d’éviter la formation « scolaire », est vécue comme un pensum scolaire, particulièrement difficile pour ceux qui sont en situation d’illettrisme plus ou moins marqué.

Les formations accessibles par le CPF doivent également être certifiantes. Cette obligation n’incite donc pas ceux qui auraient peut-être le besoin, à y recourir, et, elle réduit, également, l’offre de formation, car celle-ci n’a pas encore décomposé en petits blocs de formation les certifications pour être finançables par le CPF. L’offre de formation n’est pas non plus accessible sur l’ensemble des métiers sur l’ensemble du territoire, et la e-formation qui permettrait de résoudre en partie le problème d’accessibilité géographique, est encore peu développée.

Face aux enjeux majeurs d’évolution des activités et des métiers (numérique, transition énergétique, environnement…), le besoin d’évolution des compétences concerne pourtant tous les actifs, qu’ils soient en emploi ou non. Or cette adaptation des compétences doit pouvoir se faire dans le cadre de l’emploi, le métier évoluant de fait au sein de l’entreprise en même temps que l’activité de l’entreprise évolue. Ce sont, de fait, les salariés qui font évoluer les activités et par incidence leurs métiers, et qui, pour ce faire, doivent développer les compétences nécessaires. Cette acquisition de compétence est d’ailleurs collective. Elle comporte une large part d’autoformation et d’échanges au sein des équipes de travail. Toutefois, la formation organisée au sein de l’entreprise ou hors entreprise est utile, voire nécessaire pour acquérir de nouvelles techniques, pour échanger avec des salariés d’autres entreprises, pour prendre le recul nécessaire sur ses propres pratiques pour les faire évoluer. Le développement de la e-formation, le développement des pratiques de formation en situation de travail (FEST) et d’apprentissage collectif, n’exonère pas les entreprises d’envoyer régulièrement leurs salariés en formation, sans doute de plus courte durée qu’auparavant grâce au développement de formation mixte (associant formation en salle, e-formation, formation en situation de travail, formation en équipe de travail, autoformation…), mais nécessairement dans un cadre formalisé de formation. La finalité est d’acquérir les compétences nécessaires pour faire évoluer les activités de l’entreprise, ce qui induit sans doute une évolution des métiers. Cela n’est pas incompatible avec l’inscription de cette acquisition de compétence dans un parcours de formation certifiante, mais cela implique que le référentiel de la certification professionnelle soit effectivement décliné en petits blocs de compétence (parler de briques serait peut-être plus pertinent) et qu’il soit bien prévu un bloc de compétence correspondant à la compétence acquise par le salarié… Il semble que l’état d’avancement de la réécriture des référentiels des certifications (et diplômes) ne soit que rarement suffisamment avancé pour que se fasse aisément l’articulation entre action de formation menée au titre du plan de formation et certification. Elle pourra l’être plus aisément par la VAE. Mais la finalité pour le salarié, est-elle nécessairement une certification, mais n’est-elle pas plutôt de préserver son employabilité, de développer les compétences qui lui semblent nécessaires pour progresser dans son métier, sans avoir nécessairement un certificat, si tant qu’il en existe un pour valider ses compétences ?

Pour que la réforme de la formation puisse effectivement atteindre son objectif de rendre l’acquisition des compétences accessible à tous, il apparaît donc impératif d’assouplir au maximum les dispositifs de formation certifiante, de décomposer les certifications non pas en « bloc de compétences », mais véritablement en « briques de compétences» de façon à pouvoir mobiliser les différents dispositifs de la formation pour accompagner les salariés dans leur professionnalisation, en acquérant progressivement toutes les briques de compétences et valider in fine, s’ils le souhaitent, une certification, en ayant mixé les différents dispositifs (alternance, CPF, ProA et même plan de formation) et les différentes modalités de formation (distanciel, présentiel, FEST et VAE).

Hugues JURICIC, le 11 février 2020