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Comment sont dépensés les 31 milliards d’euros de la formation professionnelle continue ? Quelle évolution à prévoir à la suite de la réforme de la FPC inscrite dans la loi Avenir Professionnelle de 2018 ?

Dépenses totales de la formation professionnelle continue

Le « Jaune budgétaire» document qui recueille annuellement les principales données financières et physiques relatives aux actions de formation professionnelle, quels qu’en soient les dispositifs, les financeurs et les bénéficiaires, présente un budget de 22,2 Mds€.


Source : Jaune budgétaire 2018

Il manque les coûts financés par les bénéficiaires (dépenses imputables aux ménages qui sont estimées en 2015 à environ 1,4 Md €), ainsi que les dépenses directes de formation pour les salariés du privé, directement financées par les entreprises en dehors des fonds collectés par les OPCA. En 2014, elles représentaient plus de 6,2 Mds € selon l’analyse faite des déclarations 2483 faite par le CEREQ (2014).

Aussi, en incluant ces dépenses privées (ménages et entreprises), le budget global de la FPC est d’au moins 30,1 Mds €.

On se rapproche ainsi de la dépense globale pour la formation professionnelle et l’apprentissage calculée par la DARES en 2015 pour l’année 2012, correspondant à près de 31,75 Mds €.

Dépense globale par public bénéficiaire (2015)


(*) hors dépenses directes de formation des salariés du secteur privé (environ 6,5 Mds €)

Si l’on rapporte ces dépenses à l’effectif des publics bénéficiaires :

  • Apprentissage : env. 300.000 apprentis (2018)
  • 5,3 Mds€ soit 17 667 € / apprenti / an
  • Emplois salariés du secteur privé : 18,1 millions (2017)
  • 1,1 Mds€ (alternance professionnalisation) + 6,7 Mds€ + 6,5 Mds€ = 14,3 Mds€
    soit 790 € / salarié / an
  • Emplois des fonctions publiques : 5,45 millions (2015)
  • 5,5 Mds€ soit 1000 € / salarié / an
  • Jeunes en insertion et demandeurs d’emploi : 6,2 millions dont 3,4 millions en cat.A (demandeurs d’emploi sans emploi avec actes positifs de recherche d’activité).
  • 1,07 Mds€ + 4,88 Mds€ = 5,95 Mds€ soit 1 753 € / demandeurs emploi (cat. A) / an
Evolution possible de la dépense de formation suite à la réforme

L’évolution de la dépense totale depuis 2006, indique clairement qu’un plafond ait été atteint à partir de 2009. Les dépenses évaluées pour 2018 sont du même ordre de grandeur, sachant qu’il est difficile d’apprécier les dépenses directes des entreprises alors que la collecte des fonds à la formation concerne de moins en moins le plan de formation des entreprises et que la mise en place du DIF puis du CPF a réduit encore les dépenses de formation des salariés qui sont encore peu nombreux à utiliser leurs comptes personnels.
La réforme de la formation inscrite dans la loi Avenir Professionnel de septembre 2018, va impacter l’ensemble de ces dépenses, en modifiant les dispositifs et les modalités de collecte des fonds et de financement.

Les formations pour les demandeurs d’emploi et des jeunes en insertion grâce à la mise en place du PIC Plan d’Investissement dans les Compétences devraient augmenter avec une recherche de cohérence au niveau des régions et des territoires. L’enjeu est de maintenir voire augmenter le budget global au de-là des 4,6 Mds € actuels, sachant que le budget de l’axe compétences du PIC est précisément de 15 Mds € pour 5 ans… ce qui correspond à une augmentation substantielle du financement de l’Etat, auquel il convient d’agréger les financements de Pole Emploi, des Entreprises et surtout des Régions. D’où l’enjeu majeur des accords PIC avec les Régions auxquels sont associés Pole Emploi et France Compétences. En outre, la mise en place du CPF que le demandeur d’emploi pourra mobiliser pour se former durant sa période de chômage devrait également contribuer à augmenter de façon sensible la formation des demandeurs d’emploi.

Les dépenses pour l’alternance (apprentissage et contrats de professionnalisation) devraient être maintenues voire amplifiées si la tendance à la hausse du nombre des apprentis qui est constatée en 2018 se maintient dans les années à venir. Cela dépendra de la capacité des organismes de formation à offrir une modularité des formations et une temporalité plus souple sortant du temps scolaire, de façon qu’à terme, la formation certifiante puisse être appréhendée par tout adulte dans une logique de parcours associant apprentissage, professionnalisation, VAE et CPF. L’enjeu est également de pouvoir associer les modalités de formation, en situation de travail, en auto-formation à distance et en face à face pédagogique. Un enjeu fort est aussi de prendre en compte les pratiques différenciées selon les secteurs économiques dans l’apprentissage d’une part, et selon les territoires d’autre part. Le risque d’une harmonisation des coûts de formation qui serait en pratique un alignement sur un standard, est ne pas prendre en compte les surcoûts induits par la dispersion et l’éloignement des entreprises, et le nécessaire accompagnement des entreprises pour les inciter à embaucher puis gérer l’alternance. La question de la couverture territoriale devrait prise en charge par les Régions, mais encore faut-il qu’une gouvernance de la politique emploi-formation existe avec les territoires et les représentations des secteurs économiques. Les OPCO devront donc avoir une double approche : la fixation d’un coût de formation prenant en compte les spécificités sectorielles au niveau national, et les spécificités territoriales au niveau régional. Pour une grande majorité des secteurs économiques, c’est un tout nouveau métier.

Reste la formation des salariés hors l’alternance.

Pour la formation des salariés des fonctions publiques, on peut raisonnablement penser que l’effort de formation qui est supérieur que dans le secteur privé devrait être maintenu.

En revanche, pour les salariés du secteur privé, il y a plusieurs éléments d’incertitude.

Avec la réforme, l’obligation de former les salariés dans le cadre des plans de formation est encore atténuée et même laissée libre pour les entreprises ayant plus de 50 salariés. Cela ne veut pas dire qu’il y aura moins de formation proposée aux salariés par les employeurs, en dehors des formations obligatoires. On peut même penser que la formation informelle devrait se développer et s’organiser dans les entreprises au fur et à mesure que la e-formation se développe. Mais un maintien à un haut niveau de formation est susceptible de rester cantonner aux entreprises dites apprenantes, aux organisations, activités et emplois les plus propices à l’apprentissage, formel ou informel. Ce sont en général les entreprises les plus grandes et cela concerne précisément les emplois occupés par des salariés parmi les plus qualifiés. Reste alors pour les autres salariés le CPF (compte personnel de formation) qui permet d’accéder à des formations certifiantes. Mais il faudra aux salariés vouloir se former en dehors des heures de travail, ou alors à l’occasion d’un changement de parcours professionnel (choisi dans le cadre d’une professionnalisation, ou subi dans le cas d’un licenciement). Difficile de prédire comment devrait évoluer globalement les dépenses de formation, mais il semble que le niveau des dépenses dépendra de l’évolution de l’offre de formation pour répondre au mieux à la demande émanant des entreprises mais aussi des salariés.

La formation certifiante (Professionnalisation, CPF) devrait augmenter, à la condition toutefois que l’offre de formation évolue pour proposer des modules de formation plus souples, plus courts, mêlant les différentes modalités de formation (présentiel, à distance, en situation de travail…), et permettant des entrées-sorties de formation hors de la temporalité scolaire.

La formation non certifiante, celle qui rentre dans le cadre des plans de formation, peut également bénéficier de la réforme. Mais l’offre de formation devra être capable de répondre à la demande non organisée des entreprises de plus de 50 salariés ainsi qu’à celle des entreprises ayant moins de 50 salariés, demande organisée par les OPCO. Les modalités de formation peuvent être très différentes mais assurément elles devront proposer un mix intégrant l’apprentissage informel et la e-formation. L’enjeu pour les OPCA est de maintenir un niveau de pratiques de formation dans les entreprises ayant moins de 50 salariés, afin de préserver un budget suffisant pour que les entreprises puissent être correctement accompagnées dans leur évolution (on peut penser aux grands besoins de formation dans le numérique ou la transition énergétique). C’est un vrai défi car dans l’allocation budgétaire opérée par France Compétences, il y aura un arbitrage avec les autres dispositifs qui sont fortement mobilisés et appelés à se développer (alternance, professionnalisation et même CPF et CEP), sans parler de la concurrence entre les OPCO qui représentent des secteurs économiques dont la dynamique en matière de formation de leurs salariés est de fait fortement différenciée.

Conclusion

En conclusion, la réforme de la formation professionnelle continue induite par la loi Avenir Professionnelle est donc très impactante, pour tous les acteurs, Etat, Régions, Pole Emploi, Entreprises, OPCO, Organismes de formation certifiantes ou non, et bien entendu, les salariés et les demandeurs d’emploi pour lesquels on doit espérer la possibilité de devenir les acteurs de leur parcours d’apprentissage tout au long de la vie, que cela soit pour améliorer leur employabilité, que pour être tout simplement des citoyens mieux intégrés.

A cet égard, une attention particulière devrait être portée aux salariés et demandeurs d’emploi qui se trouve en difficulté dans leur parcours d’apprentissage tout au long de la vie du fait de lacunes dans les connaissances de base, dans les compétences clés et en littératie (y compris la e-littératie).

Ce qui peut également inquiéter est le fait que tout change en même temps, les modalités de financement, les dispositifs, les modalités de formation et aussi les entreprises et les activités économiques : les acteurs pourront-ils mener cette évolution qui par son ampleur peut s’appeler une révolution ? Mme la Ministre Pénicaud parle bien de « big band ».

On peut craindre que les acteurs les plus fragiles se retrouvent en grande difficulté : les petits organismes de formation, CFA et autres OF, qui sont déjà en situation financière extrême sans avoir les moyens d’investir, les « petits » secteurs économiques qui sont peu structurés et peu présents en région, et souvent aussi avec peu d’implication des entreprises assujetties, les petites entreprises qui n’ont pas de compétences internes RH… En bref, le reproche récurrent fait à la formation professionnelle continue d’être surtout bénéfique aux salariés ayant la meilleure employabilité et la meilleure qualification, risque de perdurer si l’on ne prend pas en compte dans la mise en œuvre de la réforme, les « petits », les territoires isolés, les petites entreprises, les petits secteurs, les petits organismes de formation…

Hugues JURICIC
Givry, le 18 mars 2019

Imprimer : Bilan des réalisations de formation professionnelle continue